Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Chronique des premiers pas vers l’annulation d’une « maladresse » patronale

samedi 2 mars 2013 par Claude REYMOND
Destiné au journal de Syndicom (qui en fit un résumé)

Avis au lecteur : cette chronique rédigée le 02-03 compte 18’500 signes, c’est beaucoup trop pour un article dans le journal syndical - qui doit permettre des expressions multiples et variées. D’entente avec le rédacteur Yves, elle sera publiée sous forme de feuilleton en cinq parties. Mes collègues du comité genevois sont d’accords : celles et ceux qui sont impatients de toute la connaître, peuvent lui envoyer un courriel à « secteur3ge@gmail.com » et il leur en fera parvenir le PDF complet.

Ci-après 3703 signes.

La section genevoise syndicom secteur 3 conserve un local dans la Maison du Faubourg près de plusieurs autres syndicats, là où réside également le Secrétariat de la CGAS, faîtière du mouvement syndical genevois ; le soussigné, qui fut typographe puis relieur à la Roto-Sadag / Tribune de Genève, en assure le bon fonctionnement. Cette proximité est avantageuse à plusieurs égards, c’est grâce à elle que le signal d’une résistance « active » au licenciement commis par l’imprimerie LENZI pu être lancé, et requérir la solidarité effective de nombreux syndicalistes genevois.

Définition des objectifs

Avant l’expédition du message en tête de ce rapport (2013-02-28 17:53), j’ai pu échangé avec les deux membres du comité William BIEDERMANN et Tonio FISCO, lesquels ont validé la démarche que je leur présentais.

A 18 :02 nous recevions en réponse un message indiquant que les chiffres 1 à 3 faisaient déjà partie du « programme » et que « la dénonciation du licenciement est déjà intégrée dans notre communiqué de presse du jour ».
Peu après la vice-présidente de la CGAS me demandait par téléphone si les organes de Syndicom avaient reçu positivement « mes » propositions : oui et je me tiendrais à ce qu’elles jugeront possible d’entreprendre ; mais en plus chère collègue, je demande un congé sans solde de durée indéterminée à partir de 14h00 01-03-2013 - de façon à ne tenir mes ordres que de Syndicom, mon syndicat. Ce qui fut accordé.

Lors du rassemblement du 1er mars à la rue Plantamour, auquel s’étaient joints de nombreux syndicalistes (des autres sections de Syndicom, du SIT, de SYNA et du SSP), notre président Pierre DJONGANDEKE-TONGOMO finalise le chiffre 3 du programme : lequel est approuvé en place publique.

Deuxième partie 3871 signes
Mise en place du dispositif

Le bus conduit par notre collègue du SEV/TPG - dont le temps de travail sera défalqué des minutes syndicales - dépose 30 personnes dans le parking Honda au Nant d’Avril ; après avoir passé mon bras sous celui du camarade licencié - Alexis PATINO, nous pénétrons tous deux dans l’imprimerie LENZI, suivis par une vingtaine de personnes, à 14h05 le hall d’entrée est plein.

A gauche la porte donnant sur l’atelier, devant nous celles donnant sur les sanitaires, à droite la porte de la direction entrouverte. La secrétaire s’avance, je présente les précités et notre secrétaire romand Yan GIROU : nous ramenons le membre du comité du Syndicat à sa place de travail car nous considérons son licenciement - donné juste avant une pause syndicale coordonnée en Suisse - comme une provocation inutile et inacceptable : nous resterons ici jusqu’à ce que ce licenciement-là soit annulé.

Première difficulté : Monsieur LENZI est en livraison sur Vaud, et son directeur ne veut pas se prononcer sur la situation. On explique celle-ci au chef d’atelier qui nous a rejoint. Tout est calme : le secrétariat s’active pour établir une liaison entre l’employeur et notre délégation, on entend les machines tourner – elles ne s’arrêteront pas avant la fin de la journée, un collaborateur en fera même fonctionner une en heures supplémentaires…

La communication est établie

14h20 Longue conversation du soussigné - qui prenant acte des déclarations de l’employeur sur ses difficultés à approvisionner l’entreprise en commandes – rappelle qu’en ces situations cette dernière peut requérir du chômage partiel, que l’employeur devrait consulter les travailleurs et/ou le syndicat afin de dégager une solution consensuelle.

Non, nous ne préférons pas qu’une autre personne - ou une qui n’est pas syndiquée - soit licenciée à la place de notre camarade.

Non, pour l’instant l’activité productive de l’entreprise n’est entravée d’aucune manière.

Oui, une délégation syndicale et le concerné peuvent discuter avec vous lundi prochain à 8h30 - mais si nous ne recevons pas de votre part un fax de trois lignes attestant que le licenciement contesté est annulé, nous ne quitterons pas les locaux. Vous ne pouvez pas venir avant lundi, pas de problème, on vous attend.

Sachez Monsieur que depuis 2006, bien que le BIT ait sommé la Confédération d’accorder de meilleures protections pour les représentants des travailleurs, il y a déjà eu 19 autres abus patronaux à leur égard, tous ont dû renoncer à leur profession, beaucoup trop restent au chômage : nous avons décidé que le vôtre ne sera pas le dernier de la liste.

J’entends bien que vous avez rapidement trouvé du travail pour une autre collaboratrice récemment licenciée, et je crois volontiers que vous pourriez aussi en trouver pour notre camarade – mais nous ne pouvons pas accepter ce licenciement qui ressemble beaucoup aux instructions données par Viscom à ses membres il y a quelques jours.

Ah, vous considérez que ce licenciement est de nature économique ; je vous certifie que tout le pays le considérera comme un licenciement à caractère politique ; alors autant s’arranger entre nous et dans l’honneur = vous l’annulez immédiatement et lundi matin vous discutez avec le syndicat pour trouver une autre solution – si rien de tangible n’en sort, vous pourrez toujours essayer de licencier fin avril – mais nous aurons requis l’aide du Département de l’économie et peut-être que d’ici là, on aura trouvé un moyen de vous aider à sortir de cette mauvaise passe.

Oui nous sommes résolus, bien que membre du syndicat mais je ne suis cependant pas un de ses responsables officiels, voulez-vous converser avec l’un d’entre eux ?

14h45 Yan prend le relais, argumente encore et encore. Puis les interlocuteurs conviennent de suspendre afin que la position de l’employeur puisse être présentée et débattue par les camarades.

Troisième partie 3336 signes
Première consultation

Notre jeune membre du comité (depuis un mois) explique devant l’assemblée d’occupation que deux nouveaux collaborateurs viennent d’être engagés, que la veille et le jour de son licenciement il faisait des heures supplémentaires. Mais on apprend aussi que la secrétaire a été sommée de réduire son horaire de 80% à 20% avec effet immédiat, et cela sans compensation.

Le camarade précise les menaces que lui-même et tous ses collègues ont reçues. Il fut le seul de la boîte qui ait tenté de tenir tout le monde informé de la situation : en déposant des feuilles d’info et de mobilisations dans la cuisine, en organisant la réunion de midi pendant laquelle tous décidèrent de participer au rassemblement du 1er mars, et nous avons demandé au chef d’atelier de l’annoncer.

« Visiblement mon patron savait que j’étais à l’origine de cette décision d’utiliser collectivement notre temps de pause (ça n’était pas bien difficile) ; et lors de ma convocation dans son bureau, avec le chef d’atelier et le sous directeur, j’ai été le seul à qui il n’a PAS demandé : « qui a organisé tout ça ? » Il voulait surtout savoir pourquoi toute notre équipe y allait et également pourquoi que j’accordais toute mon attention au syndicat - pour conclure finalement par "t’en a rien à foutre de l’entreprise". »

Mais combien êtes-vous à travailler ici ? sans la direction 10, en comptant les 2 apprentis, et on est deux à être syndiqués.

Non, nous ne changerons pas notre résolution, on ne peut pas laisser la Terreur se développer dans les imprimeries : une occupation est opérée par des syndicalistes jusqu’à ce que ce licenciement soit pas annulé.

Le contact téléphonique est rétabli, nouveaux échanges avec Yan qui assume désormais le rôle de porte-parole, serein et ferme. Puis, après bien quelques minutes, la conversation s’interrompt : si les syndicalistes ne sortent pas, Monsieur LENZI portera plainte pour violation de domicile.

Deuxième consultation

Nous ne sommes pas dans le domicile privé et exclusif de Monsieur LENZI mais dans l’entreprise dont il a la responsabilité et qui dégage de la plus-value grâce la force de travail de ses collaborateurs. Ils sont aussi un peu chez eux, notre camarade licencié également.

La conséquence de cette analyse : nous restons et nous réitérons notre exigence d’annulation immédiate du licenciement, tout en nous engageant à aider l’entreprise à traverser cette mauvaise passe.

Non Yan, ne rappelle pas = c’est maintenant à Monsieur LENZI de le faire.

15h30, nous invitons les collègues des autres syndicats à retourner à leur ouvrage et nos effectifs se réduisent à 7 en comptant la compagne du camarade. Je demande une ramassoire et un balai au camarade : si on doit rester jusqu’à lundi, autant nettoyer les feuilles de ce ficus. Et si on doit sortir rapidement, au moins personne ne pourra dire qu’on a salopé l’endroit.

16h00, téléphone de l’employeur, explications de notre secrétaire syndical : la police va intervenir. Tiens, les radiateurs sont froids, peut-être que si je monte sur tes épaules je pourrais tourner la vanne là-haut, près du plafond ?

16h30, la conversation s’engage entre notre camarade et un de ses collègues qui a fini sa journée, le deuxième veut lu rendre quelques monnaies… La compagne du premier, qui est allée acheter de l’eau, sert un gobelet à tout le monde. Merci.

Quatrième partie 4699 signes
Relations avec les forces de l’ordre

16h40, premier téléphone de la police : « une plainte peut être déposée, vous devez quitter les lieux immédiatement ». Nous partirons quant ce licenciement sera annulé.

« Le patron va vous recevoir lundi matin, revenez ce jour-là. »

Non, si nous partons maintenant, nous acceptons que le couteau sur la gorge de notre camarade y reste et cela ne constitue pas une condition favorable pour une discussion intelligente ; mais rassurez l’employeur, son entreprise est sous bonne garde. Vous me dites que la loi est ainsi faite et je vous réponds que nous ne voulons plus attendre qu’elle soit enfin changée pour éviter ce type de situation. Je peux vous indiquer des contacts auprès de nos autorités cantonales qui vous dissuaderont d’intervenir à l’imprimerie LENZI.

« J’ai encore d’autres requêtes à traiter, j’avise la hiérarchie ». C’est terminé.

16h45, une ouvrière sort. Elle salue « bon weekend », nous aussi : « pareillement, à lundi !? » « Bien sûr ». C’est la deuxième syndiquée, elle n’est pas sortie par la porte de derrière comme les autres, elle est passée entre nous – digne, avec un sourire grave.

17h30, deux policiers en civil se présentent, plusieurs autres en uniforme restent discrètement postés à l’extérieur.

« Soyez raisonnables, sortez maintenant sans que l’on doive vous mettre à l’amende ».

Les fonds grèves des syndicats membres de l’USS sont suffisamment bien garnis pour payer toutes les amendes que vous nous signifierez.

« Ne soyez pas ridicules, vous avez un rendez-vous avec l’employeur lundi, vous n’allez pas rester ici jusque là, cela ne sert à rien. »

Nous quitterons ces locaux lorsque ce licenciement sera annulé. La dernière fois que les syndicats genevois ont levé le pied dans une action du même type, c’était lors de la bataille engagée en 2006 contre le llicenciement de Maguy BOUGET, aminatrice à l’EMS xy, présidente de la section SYNA Genève et membre de la commission de la santé ; organe tripartite dans lequel le Conseil d’Etat l’avait nommée sur proposition d’une assemblée de travailleuses et travailleurs du secteur concerné. Le Ministre de la santé avait promis de dégager 60’000 francs pour créer un nouveau poste d’animatrice dans un autre EMS qui en serait dépourvu, et nous avons finalement adressé une supplique au Conseil d’Etat.
De fait, Maguy n’a jamais retrouvé un emploi dans sa qualité professionnelle, et le Conseil d’Etat a transmis notre supplique à l’Office de l’inspection du travail. Que j’ai rencontré à l’occasion du changement de directeur, lequel s’est engagé à étudier la demande syndicale de mettre en place un dispositif administratif pour éviter une répétition de tensions comme celles que nous vivons présentement. Demandez-leur où ils en sont à ce sujet !

« Nous ne sommes pas des médiateurs, nous faisons respecter la loi, vous pourrez toujours poser votre problème aux Prud’hommes ».

Concernant Madame BOUGET, le tribunal des prud’hommes n’a pas pu faire autre chose que d’appliquer la loi en lui accordant une indemnité. Nous ne pouvons plus supporter que les employeurs puissent avec des arguties mettre à terre les nôtres et terroriser tous les autres.

« Ne mettez pas votre doigt sous mon nez, c’est impoli. Vous n’arriverez à rien ainsi, quittez les lieux et revenez-y librement lundi matin ».

Excusez-moi, c’est l’émotion, mais nous ne sommes pas des délinquants et les fonctionnaires de police ne sont pas nos adversaires. Par ailleurs vous devez savoir que le Conseiller fédéral DEISS vient de créer un groupe de travail pour enfin revisiter nos lois afin de les rendre conformes aux conventions internationales. Bien que ce contexte légitime notre revendication, nous ne voulons plus attendre à l’infini qu’elle soit satisfaite. Donc on reste. Et il vous faut bien évaluer la situation avant d’engager la force.

18h00, le directeur ouvre la porte en grand, il commence à faire très froid. Puis retourne dans le bureau de direction. Un des policiers lui crie « mais enfin, le patron ne peut vraiment pas venir maintenant ? »

Je n’entends par la réponse de l’interpellé, parce que le second policier déclare avec force « Nous ferons de sorte que le droit actuel soit respecté ». Alors téléphonez donc au Conseiller d’Etat Charles BEER – avec lequel j’ai entrepris l’occupation de « toys r us » et qui fut victorieuse ; en tant que président du Gouvernement, il vous expliquera sans doute qu’il y a l’esprit des lois mais que l’Exécutif peut en adapter les conséquences au besoin.

« Nous n’avons que faire de vos conseils, vous allez sortir de cette entreprise parce que son détenteur ne vous autorise pas y vous tenir. »

C’est vraiment dommage que nous ne vouliez pas contribuer un petit peu à remuer tout ça…

Cinquième et dernière partie 2939 signes
Démocratie syndicale

18h30 Pierre m’interrompt en me tendant son téléphone. « Salut Claude, c’est Roland ». Salut mon président national. « Dans la mesure où vous avez rendez-vous lundi avec le patron, cela ne sert à rien de poursuivre l’occupation ». Je ne partage pas cette analyse … mais si tu m’envoies un fax sur celui de LENZI avec l’ordre de mettre un terme à notre action, alors je t’obéirai. « Je ne signerai jamais rien de tel ». Alors moi je me contenterai d’observer la décision démocratique de l’instance syndicale présente sur les lieux, je te repasse Pierre.

18h35 Voyez vous, Messieurs de la police, nous avons aussi une hiérarchie ; de plus, notre syndicat étant démocratique, il va vous falloir attendre un peu que les personnes compétentes se déterminent en dernier ressort.

Les policiers et le directeur se retirent du hall, l’amie du camarade va fumer une cigarette.

Pierre explique la position du « centre », qu’il partage. Chacun exprime encore une fois son point de vue sur la situation, puis encore un tour avec ce qui pourrait être changé ou pas par une poursuite de l’occupation. Les « sages » réinterviennent – malgré la fatigue et la température proche de 0° : il faut trouver une décision qui ne fracture pas l’unité. A cet égard, le camarade nous laisse entrevoir son désarroi, « il ne faut pas parler si fort, ils vont nous entendre ». Ne craint rien l’ami, le débat des idées est un signe de vitalité, tant mieux que les Autres sachent que nous ne sommes pas prêts de nous laisser abattre aujourd’hui, ni demain...

Tout bas, tout doucement, Claude déclare : « tant que nous débattons, nous occupons. Et l’âpreté de nos propos, la conviction sonore de nos expressions participent à notre action psychologique commune. ILS doivent savoir que ce que chacun dit à de l’importance pour les autres. Entre-nous, on peut s’engueuler encore un coup – de toute façon nous resterons amis, nous sommes LE pluriel du syndicat ».

Et c’est reparti pour un tour. Mais cette fois je m’abstiens = que ceux qui ont été élus pour conduire la section décident comme ils peuvent et doivent le faire. La fatigue a tendu les visages, le froid nous fait greloter depuis un bon moment.

18h55, le président demande formellement leur position aux 3 autres membres du Comité : il est décidé majoritairement a) de ne pas faire de résistance à notre expulsion par la police, b) d’annoncer cette décision à celle-ci tout en lui demandant de nous ouvrir la porte lundi matin à 8h30 – histoire d’être certains de ne pas être bloqués par un revirement du patron sur le suivi de l’affaire.

La police prend acte de la décision, déclare que nous sommes assez grands pour revenir sans elle et se dispose derrière nous, laissant la sortie bien en évidence.

Il est plus de 19h, c’est nuit. Dans ma tête aussi c’est sombre, « sacrés professionnels ces poulets ». Et puis le camarade « on va boire un coup ? ».

Ouai, où ça ? Belle journée, tout d’même.

Claude REYMOND, Genève.

PS:

Le lundi suivant l’employeur s’est entretenu en début de matinée avec le camarade accompagné du responsable syndical romand = le licenciement a été annulé.

9 avril 2013
Le comité du Premier Mai a fait imprimer le tract unitaire dans cette entreprise : c’est notre ami imprimeur qui a fait le boulot.

1 novembre 2013
Il y travaille toujours et tous ses collègues ont adhéré au syndicat. Ce camarade a décidé de poser sa candidature pour la présidence de la section locale du secteur de l’imprimerie, dont l’assemblée statutaire se tiendra avant Noël.