Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Réaction à l’article paru dans le Temps le 6 juin 2023 « Le 14 juin, une grève qui n’en est pas une »

vendredi 9 juin 2023 par Marlene Barbosa

Le 6 juin, le quotidien Le Temps publiait une page sur la grève féministe du 14 juin, décrivant « une grève qui n’en est pas une » et transmettant des informations inexactes quant aux droits syndicaux et politiques, ainsi qu’à la lutte entreprise par les employé.e.s sur leurs lieux de travail. Il nous paraît important de rectifier un certain nombre d’informations et de définir – à nouveau – un certain nombre de principes qui animent les mobilisations du 14 juin.

Les conditions de la grève licite sur les lieux de travail
En droit suisse, pour qu’une grève soit considérée licite, elle doit remplir quatre critères particulièrement stricts : (1) La grève doit se rapporter aux relations de travail, soit porter sur une question susceptible d’être réglée par une convention collective de travail ; (2) elle doit être conforme aux obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation ; (3) elle doit respecter le principe de la proportionnalité ; et (4) elle doit être appuyée par une organisation de travailleurs-ses.

Malgré ce cadre juridique étroit, beaucoup des revendications féministes répondent à ces critères. Nous pensons par exemple à la mise à disposition des salles d’allaitement sur les lieux de travail, de la fin de la discrimination à l’embauche, à l’aménagement entre vie privée et vie professionnelle, aux procédures internes contre les discriminations salariales ou encore les revendications visant l’amélioration des processus de lutte contre le harcèlement sexuel au travail.

Comme ce n’est pas aux vieux singes que l’on apprend à faire la grimace, ce n’est ni aux syndicalistes, ni aux féministes, qu’il faut expliquer ce qu’est le droit de grève. Un guide « Grève au travail », co-rédigé avec l’Association des juristes progressistes et le collectif genevois de la grève féministe atteste d’ailleurs de tout le soin apporté à informer et organiser la défense des revendications des travailleuses.

Les syndicats, actifs dans la défense des employé-e-s les plus précaires, qui sont en grande partie des femmes, ne souhaitent en aucun cas qu’elles prennent des risques dans l’exercices de leurs droits. Dans plusieurs secteurs d’activités, depuis avant 2019 dans quelques cas, de nombreux cahiers de revendications ont été élaborés par des membres du personnel, votés en assemblées générales, présentés aux directions et ont été débattus avec ces dernières. Au vu des faibles avancées, les cahiers de revendications n’ont presque pas changé depuis 4 ans. Les directions n’ayant pas mis en place les mesures visant à supprimer les discriminations sur les lieux de travail comme exigé par les commissions du personnel/militantes/syndicalistes, de nombreux préavis de grève ont ainsi être déposés ces dernières semaines. La procédure usuelle de négociation avec la grève comme outil de derniers recours a été respectée en vue de la grève féministe 2023.

Le service minimum
En tant que droit constitutionnel suisse et genevois, le droit de grève doit être garanti, y compris pour le personnel des services publics et parapublics. Ce droit ne peut être limité que à certaines catégories précises de travailleuses et travailleurs à qui un service minimum peut être exigé. Un service minimum ne peut être admis que pour « les services vitaux à la population et la sécurité ». Par services vitaux à la population, on entend ce qui pourrait porter atteinte à la vie humaine en cas de fermeture totale pour cause de grève (par ex. hôpitaux, police, pompiers,…). Ce ne sont que ces quelques établissements qui sont concernés. Nous rappelons à toute fin utile que le but d’une grève étant bien de déranger l’ordre établi. Pour cela la force est dans le nombre.

La participation à une grève licite ne peut entraîner aucune sanction disciplinaire, pénale ou administrative. Lorsqu’un service minimum doit être mis en place, des grévistes ne peuvent être réquisitionné-e-s que s’il s’avère impossible de l’assurer avec des non-grévistes. En tant que restriction d’un droit fondamental, le service minimum doit respecter le principe de la proportionnalité.

Les syndicats invitent les employeurs-euses à respecter ce principe, et tous-tes les travailleurs-euses qui auraient un doute quant à la légitimité d’un service minimum que leur employeur-euses tenterait d’imposer à se renseigner auprès des syndicats. Par ailleurs, il est rappelé que la CCT pour le personnel des entreprises de location de service interdit aux entreprises d’avoir recours à des travailleurs-euses temporaires pour briser une grève.

Une grève « politique » ?
L’on oppose souvent aux mobilisations du 14 juin qu’elles constituent une grève « politique ». Or, les questions d’égalité, si elles sont bien politiques, concernent le monde économique. Autrement dit, les conditions de travail sont un sujet politique. La division arbitraire entre ce qui est du ressort du politique, et ce qui est du ressort de l’économique ou du monde du travail n’agit que pour déposséder les travailleuses et les travailleurs de l’ensemble de leurs droits démocratiques.

L’article qui a été publié dans le journal le Temps mentionne le cadre légal pour une grève sur le lieu de travail, mais seulement en lien avec les revendications politiques générales portées par les collectifs de la grève féministe. De ce fait, l’expert juridique interviewé conclut à l’illicéité de débrayages sur les lieux de travail qui portent sur des revendications générales.

Or, comme le mentionne Aude Spang citée dans l’article de journal, ce sont d’abord les discriminations sexistes qui sont illicites, car anticonstitutionnelles. Ces types de discriminations sur un lieu de travail sont tout illégales et le cas échéant elles peuvent être combattues collectivement que par l’outil qu’est la grève, à condition de respecter toutes les autres conditions légales susmentionnées.

L’article querellé est donc tronqué et ne permet pas d’appréhender juridiquement tous les cas de figure qui se présentent en vue du 14 juin. La complexité juridique d’appréhension de cette grève est due à son caractère intrinsèquement multiforme.

Le droit de grève est un droit fondamental qui constitue un outil de lutte collective et d’expression démocratique.

Droits syndicaux et droits démocratiques
Une confusion complète est faite dans l’article du Temps entre l’exercice des droits syndicaux – dont la grève est l’une des formes – avec la possibilité de prendre un congé, ou la possibilité pour l’employeur d’octroyer une libération de l’obligation de travailler.

Dans ces deux cas, les personnes ont la liberté de prendre part aux activités organisées dans le cadre du 14 juin. Il s’agit d’une liberté individuelle, qui peut être exercée ou non, et qui fait partie de la vie privée des personnes.

Les actes exercés collectivement dans le cadre de son lieu de travail, tels que : le dépôt d’un cahier de revendications, la demande et le suivi de négociations avec l’employeur, le dépôt d’un préavis de grève, l’exercice de la grève, les débrayages, ainsi que les diverses formes de visibilisation de soutien aux revendications des collègues en lutte, font partie (comme leur nom l’indique) de droits collectifs.

Dans les deux cas, les personnes sont libres d’exercer leurs droits et des protections existent pour les leur garantir. Dans le cadre de la grève sur le lieu de travail, les critères, comme nous l’expliquions plus haut, sont respectés par les travailleuses et travailleurs. Afin que ces droits démocratiques soient garantis, il faut que syndicats, organisations patronales et médias, en tant qu’organes intermédiaires, diffusent une information claire et impartiale. Ce que l’article du Temps ne fait pas et que nous déplorons.

L’impensé de la grève du travail gratuit : ce que le féminisme apporte à la définition classique de la grève
Enfin, les féministes ont depuis toujours thématisé que les tâches domestiques, de soins, d’éducation ou/et relationnelles, exercées gratuitement par les femmes, sont un des piliers de leur exploitation, y compris dans le monde du travail. Faire grève le 14 juin, c’est donc aussi sortir de la logique uniquement contractuelle du travail salarié, car il s’agit de rendre visible le travail gratuit qui est invisible. Ici, pas de problème de licéité de la grève, car ces prestations ne sont pas encadrées par le code des obligations et la jurisprudence. En revanche, la grève du travail gratuit, comme celle de la consommation et de la formation, existe et c’est aussi pour cela, que les mobilisations du 14 juin portent le nom – protéiforme – de grève. Quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête.

Nous invitons toute personne qui souhaite se tenir informé.x.e à prendre contact avec un syndicat genevois. Les permanences syndicales sont listées dans le guide sur les droits de grève et la liste des syndicats genevois se trouve sur le site web de la CGAS.

Nous invitons également chaleureusement les journalistes qui s’intéressent aux mobilisations du 14 juin à rejoindre les actions syndicales féministes. Le programme complet du 14 juin genevois se trouve sur le site web du collectif genevois de la grève féministe.

Comme en 2019, la grève féministe du 14 juin prochain est licite et hautement légitime. C’est le nombre qui fait la force car son ampleur dissuadera tant les représailles dans les foyers, dans les rues et sur les lieux de travail !