Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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allocution genevoise à propos du travail décent

mardi 7 octobre 2008 par Claude REYMOND

Journée mondiale pour le travail décent

Genève - Place des Nations - 07.10.2008

Ce mardi 7 octobre 2008 a été décrété « Journée mondiale pour le travail décent » par la Confédération syndicale internationale (CSI), l’organisation syndicale faîtière la plus importante du monde qui regroupe, dans plus de 150 pays, quelque 190 millions de travailleuses et de travailleurs organisés.

Plus de 350 événements ont été annoncés dans le cadre de cette journée, sur toute la planète, à commencer dès l’aube aux îles Fidji pour prendre fin avec le coucher du soleil en Alaska.

Du Pacifique à la côte ouest des Amériques, les travailleurs et travailleuses de tous les continents sont mobilisés : réunions sur les lieux de travail, manifestations, débats publics et/ou autres événements culturels et médiatiques, des actions via Internet.

À l’occasion de cette Journée du 7 octobre, tous les syndicalistes du monde élèvent ensemble, leur voix pour délivrer un message fort et uni : c’en est assez des décennies de déréglementation, de récompense de l’avidité et des excès des entreprises et de la grande finance qui ont poussé le monde au bord de la récession.

Un changement fondamental de la mondialisation s’impose. Et l’heure est venue d’opérer ce changement !

Les travailleurs et travailleuses du monde entier revendiquent des possibilités d’emploi décent pour toutes et tous.

Des emplois respectant pleinement les droits humains.

Des emplois sûrs et sains.

Des emplois correctement rémunérés et offrant une protection aux travailleurs et travailleuses et à leur famille.

Des emplois où les problèmes et les conflits sont réglés par le dialogue et des accords négociés, et non pas par l’arbitraire ou la répression.

Dans tous les pays, les familles qui travaillent paient très cher le fardeau des crises financières, alimentaires et énergétiques – les plus graves que l’économie mondialisée n’ait jamais connus.

Un changement radical s’impose pour sortir de la crise, pour établir des niveaux de vie décents des travailleurs et travailleuses et respecter leurs droits.

Ce changement doit viser à placer l’équité et l’égalité au cœur de la politique publique, de telle sorte que les progrès bénéficient à toutes et à tous, et pas uniquement à une poignée de privilégiés irresponsables.

Les travailleurs en ont assez des promesses d’un avenir meilleur alors qu’ils font face à une dégradation constante de leur vie professionnelle et, qu’avec leur famille, ils doivent lutter toujours plus durement pour un minimum d’existence décente.

La CSI et ses affiliées exigent le respect des droits au travail et la fin de la pauvreté et de l’exploitation. Et, sur tous les continents, nous réaffirmons l’engagement du mouvement syndical international en faveur de la solidarité. Nous ne permettrons pas que l’économie mondialisée oppose les travailleurs entre eux.

Nous devons démontrer que les syndicalistes de tous les pays sont plus unis que jamais et déterminés à agir ensemble, solidairement, pour parvenir à plus de justice sociale.

Puisque nous nous trouvons en Suisse, à quelques centaines de mètres du Bureau international du Travail, il faut souligner qui si la précarité des conditions de travail prend toujours plus d’ampleur à travers le monde, je tiens à rappeler que la situation n’est pas brillante en Suisse.

Exemple frappant de l’hypocrisie qui frappe notre gouvernement, j’aimerais rappeler qu’en 2003 l’Union syndicale suisse (USS) adressait une plainte au Comité de la liberté syndicale contre la Suisse, en violation de la Convention n° 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective que notre pays a ratifiée.

L’USS faisait valoir que la législation suisse n’était pas conforme aux dispositions de cette convention fondamentale de l’OIT en ce qu’elle ne prévoit pas la réintégration des délégués ou des représentants syndicaux licenciés abusivement. Seule une indemnité dépourvue de tout caractère dissuasif, de l’ordre de 2 à 6 mois de salaire, peut être accordée par le juge aux victimes de tels agissements qui ont le courage de s’adresser au tribunal. Dans les faits, l’interprétation de la loi est très disparate d’un canton à l’autre, l’indemnité moyenne étant équivalente à 3 mois de salaire seulement.


Nous étions 14 sous la Chaise, dont trois syndicalistes genevois qui furent confrontés à un licenciement pour activités syndicales : Didier Burkhart mécanicien pour les transports publics genevois 2007, Claude Briffod informaticien auprès d’une compagnie d’assurance 1996, Claude Reymond typographe et relieur dans un quotidien de la place 1983 et 1990.

Le Conseil d’administration du Bureau international du Travail (BIT) a pris, le 15 novembre 2006, une décision historique en approuvant à l’unanimité les recommandations du Comité de la liberté syndicale ayant trait à cette plainte. En résumé, ces recommandations sont les suivantes :

1. Eu égard aux principes fondamentaux et conformément aux conventions n° 87 et 98 de l’Organisation internationale du Travail (OIT), la Suisse est priée de prendre des mesures visant à procurer aux victimes de licenciements antisyndicaux le même type de protection que pour celles victimes de licenciements violant le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes, y compris la possibilité d’une réintégration au sein de l’entreprise fautive ;

2. La poursuite des discussions tripartites sur l’ensemble de la question est encouragée, y compris à propos de la situation dans certains cantons relativement aux indemnités pour licenciement antisyndical.

Les syndicats ont salué cette décision qui oblige la Suisse à revoir sa législation afin de la rendre compatible avec les traités internationaux auxquels elle a souscrit. Car tous les Membres de l’OIT ont l’obligation de prendre les mesures qui sont nécessaires pour rendre effectives les dispositions des conventions ratifiées.

Après moult pourparlers avec les partenaires sociaux, qui ont duré deux ans, le Conseil fédéral vient, le 26 septembre 2008, de rejeter les conclusions du Conseil d’administration du BIT qui demande de donner suite aux revendications de l’USS.

Ceci au prétexte qu’en l’absence de consensus entre patronat et syndicats, il ressort qu’un projet de modification législative, même minimal, au sens de la recommandation du Comité de la liberté syndicale, n’aurait aucune chance d’être adopté par le Parlement.

Bien qu’aux ordres du patronat helvétique le plus rétrograde, le Conseil fédéral envisage malgré tout d’inviter les partenaires sociaux à inclure dans leurs conventions collectives de travail des dispositions améliorant la protection des travailleurs licenciés abusivement pour motifs antisyndicaux.
Vœu d’autant plus pieux que notre gouvernement admet, quelques lignes plus loin dudit rapport, que pas même la moitié des emplois que compte la Suisse sont couverts par CCT…

Cette prise de position n’est même pas un jugement de Salomon ; elle est tout juste digne de Ponce-Pilate…

La création de l’OIT, en 1919, procédait de la conviction que la justice sociale est essentielle pour assurer une paix universelle et durable. Son œuvre en matière de promotion des droits de l’homme et de développement des relations professionnelles est immense.
Dans d’innombrables domaines, c’est grâce à l’OIT et à son action normative irremplaçable que des progrès ont été réalisés en matière de conditions d’emploi et de travail, et ce par la pratique du dialogue entre gouvernements, employeurs et travailleurs.

L’OIT a aussi déployé beaucoup d’énergie pour garantir les droits de l’homme dans le travail. Au point qu’en 1993 la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, organisée à Vienne, a reconnu que les normes fondamentales de l’OIT font partie intégrante des droits de l’homme. L’ universalité des Principes de la Déclaration de Philadelphie en a ainsi été renforcée, ce qui a aussi été le cas avec l’adoption, en 1998, de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail.
Mais est-il vraiment judicieux d’accorder foi à cette « universalité » des droits de l’homme et des normes de travail quand on sait que le thème mobilisateur du 1er mai 2003 à Genève était, je cite : « Debout pour les droits du travail dans les organisations internationales ! ».

Hélas, rien n’a changé depuis, bien au contraire la précarité s’est encore étendue dans lesdites organisations.

L’un des buts de l’OIT est de promouvoir les opportunités pour les femmes et les hommes d’obtenir un travail décent et productif, dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité humaine.

L’objectif visant à éliminer toutes les formes de discriminations en matière d’emploi et de profession constitue une obligation pour ses Membres, même lorsqu’ils n’ont pas ratifié les conventions y relatives. La Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail adoptée en 1998 reconnaît l’obligation qui incombe à l’OIT d’aider ses Membres à atteindre cet objectif.

Or, comme le titrait le syndicat New Wood des Nations Unies dans un communiqué, « les cordonniers sont les plus mal chaussés ! » En effet, l’ONU et ses institutions satellites ne pratiquent pas en leur sein ce qu’elle s’efforce de faire appliquer au niveau mondial, en l’occurrence les droits de l’homme, y compris les normes internationales de travail qu’elle se refuse de reconnaître, au prétexte qu’elles ne concerneraient que les Etats. Les pratiques des organisations internationales en matière de conditions de travail sur lesquelles plane un silence coupable, quand ce n’est pas une chape de plomb, ont pour conséquence un accroissement inouï de la précarité pour des milliers de fonctionnaires qui travaillent en grande partie ici, sur sol genevois, précarité qui est la cause de grandes souffrances morales et physiques, de problèmes de santé, pécuniaires, familiaux et autres pour celles et ceux qui en sont les victimes.

Dans l’ensemble, les organisations intergouvernementales basées à Genève occupent quelque 23’000 personnes, dont 12’300 fonctionnaires permanents et 10’000 personnes ayant un « autre statut », qui va du fonctionnaire temporaire longue durée au stagiaire.

Il s’agit, en résumé, d’un système discriminatoire, caractérisé par une précarité inouïe et difficile à imaginer au regard des normes internationales de travail, d’une part, et des qualifications de leurs titulaires, d’autre part, soit près d’une dizaine de contrats de travail différents, tels que, par exemple :

  • les contrats à durée déterminée,
  • contrats à court terme
  • les collaborateurs dits « extérieurs »
  • le contrat journalier,
  • les stagiaires sont le plus à plaindre, car sans salaire du tout, ni aucune protection sociale – comment survivre à Genève dans ce cas ? Certains vivraient en fait sur leur lieu de travail !

Ces contrats de travail donnent naturellement lieu à toutes sortes de manipulations, empêchant le plus souvent celles et ceux qui y sont soumis d’acquérir une couverture sociale normale et d’entrevoir sérieusement toute perspective de carrière, voire un avenir familial étant donné qu’il faut, avec chaque nouveau contrat, repartir à zéro.
Les contrats à la chaîne pouvant servir à enchaîner celles et ceux que la précarité a tôt fait de museler, il n’est pas difficile d’imaginer le gâchis qui résulte de cette situation discriminatoire ; nul ne conteste que toutes les formes de harcèlement (moral, psychologique et sexuel) et autre mobbing se répandent au sein des organisations internationales.

Le développement de zones de non droit est inacceptable. En cas de litige, même ceux portant sur les problèmes d’égalité, seuls le règlement intérieur de l’organisation qui emploie le fonctionnaire et son contrat de travail font foi, à l’exclusion des normes internationales de travail, y compris à l’OIT qui a été le plus souvent à l’origine de celles-ci. « Genève ne saurait devenir le Guantanamo des fonctionnaires internationaux victimes d’inégalités de traitement flagrantes » avais-je déclaré en juin 2003 à la tribune de la Conférence internationale du Travail. Je maintiens cette déclaration en appelant les organisations de ces fonctionnaires à s’unir pour lutter ensemble avec les syndicats suisses pour défendre leurs droits.

L’inscription « Ô toi qui entre ici, ôte toute espérance », que Dante a fait figurer sur les portes de l’Enfer de la Divine Comédie, n’a de place ni au sein des organisations internationales, ni en Suisse. Telle doit être notre contribution à cette Journée mondiale pour le travail décent. Halte à l’hypocrisie… J’ai dit !

Jean-Claude Prince