Communauté genevoise d’action syndicale

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Une société enchaîne les faillites, la collectivité paie

vendredi 16 mai 2014 par Claude REYMOND

SYNDICAT • Le SIT a dénoncé hier des cas « scandaleux de faillites frauduleuses » qui auraient coûté, depuis huit ans, plus de 5 millions de francs aux assurances sociales.

paru dans Le Courrier du 16-05-2014

ERIC LECOULTRE

Il s’agit de « l’un des cas les plus scan- daleux que le syndicat SIT a eu à traiter ces dernières années ». Hier matin, Thierry Horner, secrétaire général adjoint du SIT, a convoqué la presse devant un chantier à Bellevue. Un dépôt y est construit par l’entre- prise de génie civil Geco S.A. Cette dernière est la troisième d’une série de sociétés enchaînant les faillites en laissant derrière elles des millions de francs de créances, sans que ses dirigeants, la famille Astié, soient inquiétés.

Le syndicat accuse Geco, preuves à l’appui, de devoir un peu moins de 1 million de francs aux assurances sociales (accidents, perte de gain maladie et retraite anticipée, AVS). Une plainte pénale a été déposée en décembre dernier par la commission paritaire, regroupant les représentants des syndicats et des entreprises. Depuis le 8 avril dernier, l’entreprise est placée sur la liste noire de la commission, pour non-respect de la Convention nationale de la construction.

De plus, une quinzaine d’employés n’auraient pas reçu leur salaire
depuis des mois. L’un d’eux a notamment obtenu gain de cause aux Prud’hommes en avril dernier et doit recevoir 15 000 francs de son ancien employeur. Ce constat alarmant est la suite d’une triste pratique initiée il y a environ huit ans.

Deux faillites en cinq ans

L’ancêtre de Geco, Astié S.A., a été créée en 1940. Employant près de cinquante employés, l’entreprise ne provoque pas de remous avant dé- cembre 2006, date de sa première faillite avec une ardoise chiffrée à plusieurs centaines de milliers de francs, selon le SIT. En janvier 2007, une deuxième société est lancée par René (le père) et Philippe (le fils) Astié, Astrag S.A., qui va très vite s’endetter considérablement en ne payant ni les cotisations sociales ni la totalité des salaires de ses employés. Résultat : alors qu’elle est visée par cent trente poursuites, la deuxième entreprise est mise en faillite en octobre 2011, avec près de 5 millions de francs de créances.

Deux semaines plus tard, naît Geco. L’administrateur n’est plus lié à la famille, mais le directeur n’est autre que Philippe Astié. Par ailleurs, le site internet mentionne une claire continuité avec les deux précédentes sociétés. Elle serait aujourd’hui à nouveau au bord de la faillite, selon M. Horner. Nous avons tenté en vain de contacter Philippe Astié sur son portable.

« En plus des difficultés pour les travailleurs de pouvoir toucher ce qui leur est dû, ces faillites frauduleuses coûtent beaucoup d’argent à la col- lectivité », fustige Thierry Horner. En effet, lorsqu’une faillite est déclarée, ce sont les institutions sociales ou les caisses de chômage qui prennent elles-mêmes en charge les dettes non assumées. A moins qu’une plainte pénale ne soit déposée par les parties lésées, « ce qui est rarement le cas », souligne le syndicaliste.

La « responsabilité solidaire »

Mais si le syndicat SIT a choisi hier de pointer du doigt le chantier de Bellevue, c’est qu’il souhaite que le principe de « responsabilité solidaire » y soit appliqué. En clair, il souhaite faire payer une partie des créances de Geco par Forbéton S.A., l’entrepri- se pour laquelle le dépôt est construit. Cette dernière, de par son implication au sein de la Société suisse des entrepreneurs (SSE) – son administrateur Julien Pittet en est le trésorier –, connaissait la présence de Geco sur la liste noire de la commis- sion paritaire, et donc les risques de mauvais payements. La SSE n’a pas pris le temps de répondre à nos ques- tions.

Interrompant la conférence de presse, les administrateurs Guy et Julien Pittet, accompagnés de l’architecte du chantier, ont eu de vifs échanges avec Thierry Horner. Ne souhaitant pas répondre aux journalistes, Guy Pittet a toutefois esquissé une justification : « Nous avons choisi Geco car elle nous devait de l’argent. » Mais Forbéton était-elle consciente que les travailleurs ne touchaient pas leurs salaires ? « Nous avons effectué les paiements. Si Geco décide de ne pas les verser aux employés... »

Plus tard, l’avocat de l’entreprise a publié un communiqué nous infor- mant que Forbéton n’était « que locataire des locaux », et donc pas maître d’ouvrage. Pourtant, la parcelle où s’effectuent les travaux appartient bien à un certain Guy Pittet... I