Communauté genevoise d’action syndicale

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Syndicalistes emprisonnés : criminels ou lampistes ?

Plainte contre le gouvernement de Roumanie à l’OIT

jeudi 29 novembre 2007 par Claude REYMOND

nous avons reçu cette communication de Jean-Claude Prince, Syndicaliste suisse, membre travailleur suppléant du Conseil d’administration du BIT

Organe du Conseil d’administration du Bureau international du Travail (BIT), le Comité de la liberté syndicale a été saisi, le 22 mai 2006, d’une plainte de la Confédération syndicale nationale MERIDIAN à l’encontre du gouvernement de Roumanie, en violation de la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et de la convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective.

L’organisation plaignante allègue que plusieurs responsables syndicaux ont été arrêtés au motif d’incitation à la subversion du pouvoir de l’État et de troubles de l’ordre public, alors qu’ils exerçaient des activités syndicales légitimes en rapport avec la défense des travailleurs et des grèves dans un contexte de fermeture des sites miniers. Miron Cozma, leader controversé de la vallée du Jiu a été condamné à dix ans de privation de liberté, alors qu’il a déjà exécuté de 1997 à 1998, puis de 1999 à 2005, une partie d’une autre peine de 18 ans de prison infligée sur la base des accusations portées contre lui consécutivement aux « minériades »(1). Cinq de ses compagnons ont écopé de cinq ans d’emprisonnement.

« Minériade » est le terme générique employé pour désigner les interventions parfois violentes successives des mineurs roumains qui se sont produites à Bucarest de 1990 à 1999. Ces mouvements visaient soit à des changements de politique, soit à l’obtention d’améliorations des conditions de travail, mais aussi au respect des accords conclus avec le gouvernement ainsi que la protection de ‘emploi dans le secteur minier.

Victimes de manipulations ?

Paraphrasant ces événements par le terme « iliesciades », nombre d’observateurs prétendent que les mineurs auraient été manipulés par Ion Iliescu, qui fut président de la Roumanie. Mais jamais la lumière n’a été faite.
L’élucidation de ces phénomènes sociaux tragiques, car il y eût des victimes (officiellement sept morts et plus de mille blessés en juin 1990), pose des questions d’une grande complexité concernant leurs enjeux, leurs acteurs et leurs buts réels. Il s’agit du volet le plus controversé du passé récent de la Roumanie « dont l’histoire de l’époque nouvelle est pervertie » pour reprendre l’affirmation de Catherine Durandin(1).
Comme le relève le Dr Ionut-Constantin ISAC, maître de recherche au Département de philosophie de l’Institut d’histoire « G. Barit », Cluj-Napoca, « on se heurte ici à la complexité du tissu constitué de la multitude de scénarios symboliques avec leur mythologie sous-jacente plutôt obscure et parfois inquiétante, et aux manipulations en cascades dont les artisans s’accusent les uns et les autres aujourd’hui encore, selon les images et les messages véhiculés successivement par les mineurs, les médias et le pouvoir de l’État, mais souvent démenties par la réalité elle-même. De plus, après tant d’années d’attente et quasi-silence des autorités roumaines, des événements récents, en lien étroit avec lesdites minériades, rendent plausible l’idée qu’on se trouve encore loin de la vérité dans cette affaire. » (2)

Condamnés sur la base de lois datant du communisme

Les dirigeants syndicalistes mis en cause ont été condamnés en dernière instance le 28 septembre 2005, après qu’ils eussent fait appel d’un premier jugement du 12 décembre 2003. Mineur, puis ingénieur, Miron Cozma avait déjà pris part au mouvement de grève de 1977 sous le régime de Ceaucescu avant de devenir, en 1990, porte-parole des syndicats de la vallée de Jiu et président de la Ligue des syndicats de mineurs de la vallée du Jiu (LSMVJ). Il a fait partie de la délégation des travailleurs aux sessions de la Conférence internationale du Travail, à Genève, de 1994 et 1995.
Il devrait théoriquement bénéficier d’une libération conditionnelle à la mi-novembre 2007. Il est en outre interdit de séjour pour une durée de 17 ans à Bucarest et Petrosani, la grande ville minière de Roumanie ; privé de ses droits civiques et parentaux, il a l’interdiction de se présenter et d’être élu à n’importe quel poste à responsabilité syndicale ou politique. Depuis un certain temps, Miron Cozma, craint pour sa vie. Témoignant sur la chaîne de télévision OTV, un ancien co-détenu du pénitencier de Rahova a affirmé le 24 mars 2005 comment un officier du Service indépendant de protection et anticorruption (SIPA), qui dépend du ministère roumain de la Justice, avait exercé du chantage à son encontre afin de le pousser à éliminer le leader syndical qui était son voisin de cellule, en échange de certains avantages personnels.

Les autres dirigeants syndicalistes condamnés à cinq ans de prison sont :

  • Constantin Cretan, vice-président de la Fédération syndicale des mineurs de Rovinari
  • Dorin Mihai Lois, vice-président de la LSMVJ
  • Vasile Lupu, président du Syndicat de l’exploitation minière Valea de Brazi, membre du Conseil de coordination de la LSMVJ
  • Ionel Ciontu, vice-président du Syndicat de l’exploitation minière Livezeni
    -  Romeo Beja, président du Syndicat de l’exploitation minière Paroseni (par contumace car il se serait réfugié à l’étranger)

Les articles ayant servi à la condamnation des responsables syndicaux ont été introduits dans le Code pénal roumain pendant la période de dictature de Ceaucescu et ont été maintenus après 1989. Cela concerne, entre autres, l’article 69/162 relatif à « l’instigation à saper le pouvoir d’État » et l’article sur le « non-respect du contrat de travail », article qui interdisait, de facto, le droit de grève sous le régime communiste.

Décès de l’un des syndicalistes emprisonnés

Le 11 janvier 2007, la famille et les collègues de Ionel Ciontu, emprisonné depuis 16 mois, ont appris par la presse son décès à l’hôpital de la prison de Jilava (Bucarest) où il a été transporté en état d’agonie. Malade depuis des mois, il avait en vain demandé plusieurs fois à bénéficier d’une interruption de sa peine pour pouvoir se faire soigner normalement. Chacune de ses demandes s’est heurtée à un refus catégorique. Sa veuve n’aura connaissance des résultats de l’autopsie que 45 jours après que celle-ci ait été effectuée.

Un an auparavant, Ionel Ciontu clamait son innocence dans l’hebdomadaire Replica, édition des 19-25 janvier 2006 : « Je suis un détenu politique. Dans la phase des poursuites judiciaires (c’est-à dire avant son arrestation – NDLR), le procureur Sasarman m’a donné quatre variantes à disposition : « enfoncer Cozma », démissionner du syndicat, partir à la retraite ou entrer au Parti démocrate (le parti du président Basescu – NDLR). Dans mon dossier, il n’y a aucune déclaration contre moi. Pourtant, j’ai été condamné. »

Plainte jugée recevable

Lors de sa session de mars 2007, le Conseil d’administration du Bureau international du Travail (BIT) a approuvé à l’unanimité les conclusions intérimaires du Comité de la liberté syndicale qui est entré en matière sur la plainte de MERIDIAN.

Notant les observations du gouvernement de Roumanie, le comité considère que, là où des personnes sont condamnées pour des raisons sans rapport avec l’exercice des droits syndicaux, la question échappe à sa compétence. Il souligne toutefois que le fait de savoir si une telle question relève du droit pénal ou de l’exercice des droits syndicaux ne saurait être tranché unilatéralement par le gouvernement intéressé, mais que c’est au comité qu’il appartient de se prononcer, après examen de toutes les informations disponibles, et surtout du texte du jugement.

Le comité rappelle que le droit de grève ne devrait pas être restreint aux seuls différends du travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière : les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large leur mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres. Par ailleurs, les autorités ne devraient pas recourir aux mesures d’arrestation et d’emprisonnement en cas d’organisation ou de participation à une grève pacifique.

Le comité estime que, même si les arrestations faisaient suite à une manifestation concernant la peine de dix-huit ans imposée à Miron Cozma pour ses activités syndicales, en particulier la marche des mineurs sur Bucarest en 1991, de telles actions devraient être considérées légitimes, sauf si elles deviennent violentes. Le comité est particulièrement préoccupé par la sévérité de la peine de dix et cinq ans de prison.

Le Comité de la liberté syndicale se dit préoccupé

Par ailleurs le comité est préoccupé par les arrestations successives de Miron Cozma (en 1997, 1999, 2004 et 2005), ainsi que par les arrestations des autres dirigeants syndicaux et, en ce qui concerne la grève de 1991, par le lancement tardif, six ans plus tard, d’un procès concernant un événement qui a eu lieu à un moment particulièrement mouvementé de l’histoire du pays.
Par ailleurs, le comité est préoccupé par le retrait d’un certain nombre des droits fondamentaux dont est frappé Miron Cozma, comme l’interdiction de séjour et de passage à Bucarest et Petrosani, pour une durée de dix-sept ans, et l’interdiction de se présenter et d’être élu à n’importe quel poste de responsabilité syndicale, à tout poste de fonction publique et à toute dignité publique, ne pouvant être justifiée que sur une base pénale, sans aucun lien avec des activités syndicales, est d’une importance à sévèrement mettre en question l’intégrité de la personne concernée.

Au vu, entre autres, de ce qui précède, le Conseil d’administration du BIT a approuvé les recommandations suivantes :

a) le gouvernement de Roumanie est prié de soumettre davantage d’informations concernant l’inculpation de 1999, en particulier copie de tout jugement rendu concernant l’affaire en instance ;

b) le gouvernement est prié d’ouvrir une enquête indépendante afin de déterminer si une procédure régulière a bien été respectée en ce qui concerne tous les inculpés et de revoir les interdictions imposées à Miron Cozma. Si l’enquête conclut qu’il y a eu discrimination antisyndicale, le comité prie le gouvernement de prendre des mesures afin d’assurer leur libération immédiate ;

c) concernant l’allégation quant aux propos du procureur envers Ionel Ciontu, d’une part, et l’allégation de complot d’assassinat contre Miron Cozma, d’autre part, le comité prie le gouvernement d’ouvrir des enquêtes afin de vérifier l’exactitude de ces allégations et de le tenir informé des résultats ;

d) le comité prie le gouvernement de s’assurer que les principes concernant le respect de l’obligation de négociation de bonne foi sont respectés dans l’avenir ;

e) concernant le décès de Ionel Ciontu à l’hôpital de la prison de Jilava à Bucarest, le comité prie le gouvernement de lui communiquer les résutats de l’autopsie dès que possible.

Le Conseil d’administration du BIT pourra donner la suite qui convient à cette plainte dès lors qu’il sera en possession des réponses du gouvernement de Roumanie. Sa prochaine session qui aura lieu en novembre prochain à Genève.

L’OIT et ses organes devraient pouvoir apporter une contribution utile pour faire la lumière sur les minériades qui sont source de confusion et de manipulations de toutes sortes.

Jean-Claude Prince, Syndicaliste suisse, membre travailleur suppléant du Conseil d’administration du BIT

1) La Roumanie, un piège ?, Saint-Claude-de-Diray, Editions Hesse, 2000
2) Prolégomènes à une recherche : scénarios symboliques, mythologie et manipulation dans les « minériades » en Roumanie


État de santé actuel déplorable des syndicalistes détenus

Constantin Cretan, emprisonné au pénitencier de Tirgu Jiu, a demandé une suspension d’exécution de sa peine pour raisons médicales. Les médecins ont constaté qu’il souffre de plusieurs affections, dont une rectocolite ulcéro-hémorragique, maladie qui est mortelle en l’absence de traitement et si un régime alimentaire n’est pas respecté, d’affections cardio-vasculaires et des suites d’un accident survenu dans la prison, où il s’est rompu le tendon d’Achille. Les médecins ont aussi constaté qu’il souffre d’un grave glaucome à un œil. On lui a d’abord accordé deux mois de suspension, puis on l’a affecté à un pénitencier très éloigné de sa famille. Pour s’en rapprocher, Cretan a dû momentanément suspendre sa demande de libération temporaire pour se faire soigner.

Le Dr Georgica Vâlcoreanu, médecin à Bucarest, signalait dans un appel du 20 février 2007 qu’un autre syndicaliste détenu, Dorin Mahai Lois, était aussi de plus en plus malade. En juillet 2007, à l’initiative du Fonds de solidarité ouvrière avec les syndicalistes mineurs emprisonnés en Roumanie et leur famille, une délégation de médecins français a obtenu l’autorisation d’examiner ces prisonniers. Leur rapport médical a été adressé le 26 juillet 2007 au ministre de la Justice de Roumanie qui n’a donné jusqu’ici aucune réponse.

PS:

Témoignage

des médecins qui ont examiné
les syndicalistes roumains emprisonnés

Le premier contact avec la réalité de notre mission fut la femme de M. Cretan, qui nous a accompagnés à la prison de Tirgu Jiu. Elle a pu voir son mari dans de meilleures conditions qu’au parloir, puisque elle a pu le prendre dans ses bras dans le local de l’infirmerie. Une femme très digne, manifestement connue et respectée des autres mineurs que nous avons rencontrés, qui nous ont parfois servi de chauffeur, parfois de guide entre deux visites.

Le soir du 6 juillet, après la première visite, nous avons été reçus par le syndicat des mineurs de la vallée du Jiu à Petrosani et avons rencontré la femme de M. Lois, très touchée par notre démarche.

Le 7 juillet, nous sommes allés à la deuxième prison, un ancien camp de concentration allemand… C’était très impressionnant de marcher au milieu de ces cages de fer, véritable zoo humain. Le médecin de la prison nous glisse : « C’est des psychiatres qu’il faudrait. » Et nous pensons à ces deux leaders syndicalistes, des hommes reconnus et respectés, obligés de dormir à treize dans une pièce pour quatre, au milieu de tous ces hommes déchus, dont la plupart relève effectivement de la psychiatrie.

Nous sommes rentrés avec le sentiment fier d’avoir apporté du réconfort à ces hommes et ces femmes et l’espoir important d’aider à la libération anticipée du maximum d’entre eux.

Le dossier médical imparable que nous avons constitué depuis notre retour sera transmis au ministère de la Justice et aux autorités roumaines, afin d’appuyer leur demande de libération immédiate pour raisons de santé. Le drame qu’a constitué le décès en prison, le 11 janvier dernier, du syndicaliste Ionel Ciontu ne doit pas se répéter.

Docteurs Jean-Philippe Laporte, Paul Robel et Cyrille Venet