Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Lorsque la masse salariale égale le capital-action…

vendredi 15 octobre 2010 par Claude REYMOND

Une révision de la loi fédérale du 11 avril 1989 sur la poursuite pour dettes et faillite (LP) est en cours.

Un rapport a été établi par le Secrétariat de l’USS à l’intention de la séance son Comité du 6 octobre 2010 : l’USS rejette une partie de la révision mais se félicite toutefois de l’introduction de l’obligation de conclure un plan social lorsqu’un licenciement collectif de 30 personnes au moins est prononcé par le repreneur d’une entreprise d’au moins 250 personnes : c’est un premier pas.

Mais le représentant romand de la Conférence des Unions syndicales cantonales a considéré que le mouvement syndical ne pouvait se contenter de cette seule contrepartie dans l’important remaniement de cette loi, aussi suggéra-t-il au Comité qu’il revendique l’inscription du principe suivant dans la nouvelle loi :

Lorsque la masse salariale de l’entreprise à reprendre ou à assainir est égale ou supérieure à 50% de la valeur de ses avoirs, il y a obligation de négocier collectivement le maintien de tous les emplois à des conditions équitables, voire de conclure un plan social si des licenciements ne peuvent pas être évités.

Pour mesurer les bouleversements proposé par le Conseil fédéral, lisons son message qui explique comment il entend créer un « droit de l’assainissement » en cas de cession de l’entreprise dans le cadre de sursis, faillite ou concordat par abandon d’actifs, avec

1. Le renversement du principe légal de 333 CO

2. La suppression du transfert automatique des rapports de travail sauf si :

  • la reprise a fait l’objet d’un accord avec l’acquéreur et les travailleurs ne s’y opposent pas (opting out)
  • les dispositions sur la consultation et l’information des travailleurs ne sont pas applicables (art. 333b II AP CO)
« Selon le droit actuel, lors d’une cession d’entreprise les rapports de travail sont transférés d’office à la nouvelle entité. Le nouvel employeur subroge l’ancien par voie de succession à titre particulier. Les travailleurs ont alors la faculté de s’opposer au transfert (art. 333, al. 1, CO). En revanche le nouvel employeur (soit l’acquéreur de l’entreprise) n’a pas ce droit. Une restriction contractuelle portant sur la reprise de certains rapports de travail n’est pas non plus admise.
 
Le nouvel art. 333b CO statue que lorsque l’entreprise est transférée durant un sursis concordataire, dans le cadre d’une faillite ou d’un concordat par abandon d’actifs, les rapports de travail passent à l’acquéreur uniquement s’il en a été convenu ainsi avec lui. En ce qui concerne les autres effets, l’art. 333b CO renvoie aux art. 333 et 333a CO ; il s’ensuit que l’acquéreur doit appliquer pendant un an l’éventuelle convention collective de travail à laquelle est soumise l’entreprise reprise (art. 333, al. 1bis, CO). L’art. 333, al. 3, CO s’applique par ailleurs aux travailleurs transférés : l’acquéreur répond donc solidairement avec l’aliénateur des créances non couvertes qui découlent des contrats repris. »
 
Art. 335e, al. 2 Droits de participation particuliers des travailleurs en cas de cession de l’entreprise et de licenciement collectif
 
La révision proposée dans le contexte de l’assainissement des entreprises a pour but de combler une grave lacune du droit actuel : elle veut obliger l’employeur à négocier d’office avec les travailleurs – lorsque certaines conditions sont remplies – dans le but de mettre en place un plan social. Si les parties ne parviennent pas à s’accorder, un plan social pourra être établi par la sentence – obligatoire – d’un tribunal arbitral. Cette réglementation ne doit toutefois s’appliquer qu’aux grandes entreprises et uniquement lors de licenciements collectifs.
 
Art. 335h Définition du plan social
 
Le nouvel art. 335h, al. 1, définit le plan social comme une convention qui fixe les moyens d’éviter les congés ou d’en limiter le nombre, ainsi que d’en atténuer les conséquences.
 
Art. 335i Obligation de négocier
 
L’obligation légale de négocier un plan social s’applique à toutes les entreprises qui emploient au moins 250 travailleurs (let. a). Selon les données qui découlent du recensement des entreprises de 2008109, cette nouvelle réglementation touchera 1154 des 312 861 entreprises privées recensées, soit 0,37 % de toutes les entreprises privées. Dans ces entreprises, l’employeur qui a l’intention de licencier au moins 30 personnes pour des motifs économiques dans un délai de 30 jours (let. b) sera tenu de mener des négociations dans le but de conclure un plan social (phase de négociation avec obligation de résultat). »

Ainsi donc le Conseil fédéral soutient que l’abrogation du « transfert automatique des rapports de travail » serait nécessaire pour favoriser la reprise d’entreprise et leur assainissement, et il considère que la contrainte à la négociation d’un plan social ne devrait concerner que moins d’un pourcent des entreprises privées du pays – celles qui en auraient les moyens ? Ce faisant il exonère toutes les autres et leurs repreneurs de l’obligation de maintenir pendant un an la rémunération de la force de travail au niveau précédent.

Cet argument est partiel et méprisant à l’égard des compétences et savoir-faire des travailleurs.

En effet, s’il y a repreneur, c’est bien parce que celui-ci juge l’activité économique de sa future entreprise comme potentiellement capable de lui procurer un retour sur investissements et des profits – lesquels seront obtenus y compris par l’effort de ses « nouveaux » salariés.

Par conséquent, autoriser le repreneur à revoir à la baisse les conditions de travail, c’est lui conférer la faculté de réduire ses frais d’acquisition d’un outil de production en puisant de la substance directement dans le porte-monnaie de celles et ceux qui ont eu et auront la responsabilité et la compétence de maintenir et de développer la valeur de l’instrument de travail. Inique !

Comme de surcroît, l’entreprise de moins de 250 salariés ou qui en licencieraient moins de 30 au cours de la reprise-assainissement ne serait même pas tenue à négocier avec les travailleurs et leurs organisation, la considération de notre gouvernement pour l’intérêt de ces derniers s’avère définitivement nulle.

Alors que notre droit prétend que les parties au contrat de travail sont libres de le conclure ou de le dissoudre moyennant des délais et des indemnités respectivement égaux, le Conseil fédéral introduit là une dissymétrie inacceptable.

Voici donc un de nos fondamentaux transgressé, mais peut-être n’est ce que la conséquence d’une mesure – visant à favoriser le maintien de l’emploi – formulée de manière immature ?

Parce que si la volonté du Conseil fédéral n’est pas principalement de favoriser un accroissement de l’exploitation de la population laborieuse à l’occasion d’un changement de propriétaire d’entreprise, alors il admettra que cette dernière puisse continuer d’en négocier l’intensité en toutes circonstances.

C’est pourquoi il nous faut revenir à la charge avec la nouvelle exigence mentionnée plus haut, laquelle a la légitimité en miroir de classe de la disposition de l’art. 725 CO qui dispose

1 S’il ressort du dernier bilan annuel que la moitié du capital-actions et des réserves légales n’est plus couverte, le conseil d’administration convoque immédiatement une assemblée générale et lui propose des mesures d’assainissement.
 
2 S’il existe des raisons sérieuses d’admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification d’un réviseur agréé. S’il résulte de ce bilan que les dettes sociales ne sont couvertes ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d’exploitation, ni lorsqu’ils le sont à leur valeur de liquidation, le conseil d’administration en avise le juge, à moins que des créanciers de la société n’acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances de la société dans la mesure de cette insuffisance de l’actif.
 
3 Si la société ne dispose pas d’un organe de révision, il appartient au réviseur agréé de procéder aux avis obligatoires qui incombent à l’organe de révision chargé du contrôle restreint.

Avec une révision ainsi complétée, nous aurons

  1. une balance de « justice » entre le poids du travail vivant d’avec celui du travail mort et accumulé ;
  2. de nouvelles attributions en matière de co-gestion ou de participation, qui ne pourront que concourir au renforcement du tissu économique du pays et dont la majeure partie des entrepreneurs veulent être fiers.

Ne seraient alors libérées des règles de cette révision que des entreprises aux activités si spécifiques qu’il n’est sans doute donné à personne de vous indiquer lesquelles…

Ainsi seulement serait donnée – en principe – l’entière compensation de l’abrogation du « transfert automatique des rapports de travail »