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Projet de constitution : le doute

jeudi 27 septembre 2012 par Claude REYMOND

Andreas Saurer, ancien constituant des "Verts et associatifs"

Le projet de constitution contient des progrès indiscutables et une lecture minutieuse laisse plutôt une bonne impression. L’écriture et la structure sont modernes et permettent une lecture aisée.

Il y a un chapitre consacré aux droits fondamentaux, en partie repris de la Constitution fédérale, concernant un niveau de vie suffisant, l’écologie industrielle, l’environnement sain, les quartiers durables, les droits des personnes handicapées etc. Un autre point positif est l’allongement de la formation obligatoire jusqu’à 18 ans. Maintenant, la présidence du Conseil d’Etat ou l’allongement de la législature, constituent-ils des progrès ? On peut en douter. Alors, comment procéder pour se forger une opinion fondée ? Faire une comparaison article par article ? Malheureusement, cette démarche nous laisse sur notre faim car on trouve aussi bien des améliorations que des régressions.

En revanche, quand on fait cette comparaison en tenant compte de la signification politique des changements, la situation se clarifie singulièrement. Les exemples de régression sont inquiétants. Nous nous contenterons de ne mentionner que les plus significatifs.

Ainsi, l’art 9 du projet de Constitution préconise que "L’Etat agit au service de la collectivité en complément de l’initiative privée…". Cela constitue un revirement à 180% par rapport à la politique actuelle. Les HUG devraient s’adapter aux besoins des cliniques et l’école publique s’organiser en fonction des écoles privées.

Selon certains, cet article ne serait qu’une autre formulation de l’art 174 A de la Constitution actuelle, selon laquelle "la gestion de l’Etat respecte la subsidiarité…à l’égard des communes". La subsidiarité du canton par rapport aux communes est un principe organisationnel fondamental des pouvoirs publics en Suisse et ne pose pas de problème. Avec le projet de Constitution, il ne s’agit pas de "la subsidiarité entre canton et communes" mais de la subsidiarité, de la complémentarité de l’Etat par rapport à "l’initiative privée", à savoir l’économie privée.

Avec le projet de constitution, l’initiative privée tendrait à devenir le pivot de la politique hospitalière et scolaire.

Bien sûr, la politique dans ces domaines ne changerait pas immédiatement. Cependant, cette formulation ouvrirait dangereusement la porte pour aller dans ce sens, une dynamique qu’on aurait tort de sous-estimer dans le climat idéologique actuel de déréglementation et de privatisation. Cette crainte est d’autant plus justifiée que cet article a été introduit après d’âpres discussions en commission et en plénière. Pour une majorité des constituants, cette nouvelle formulation de la fonction de l’Etat, qui se trouve dans le chapitre des dispositions générales fixant les principes de l’orientation politique de l’Etat, est un élément central pour impulser à Genève une autre politique scolaire et hospitalière.

Ensuite, il y a la prolongation de la législature à 5 ans qui diminue la possibilité de sanction et restreint donc le contrôle démocratique de nos élus. En plus, il s’agit d’une typique "Genferei" en rupture avec la Constitution fédérale, les élections nationales et la pratique des autres cantons.

Il y a aussi l’introduction du pourcentage pour le nombre de signatures à récolter en matière d’initiatives et de référendums. Nous serions en présence d’une augmentation constante de leur nombre. Rappelons que ce critère n’a pas changé au moment de l’introduction du droit de vote des femmes. Genève est par ailleurs déjà le canton avec le nombre le plus élevé de signatures par rapport à la population. L’augmentation du nombre de signatures sera évidemment un argument massif pour combattre le droit de vote des immigrés.

Tout aussi grave est l’abrogation de l’article 160e. Toute la politique d’économie d’énergie perdrait son soubassement constitutionnel précis et serait dangereusement fragilisée. A juste titre, le communiqué des Verts de mars 2012 mentionne le fait que "le projet ne traduit pas l’urgence et la nécessité de mettre en place les instruments qui permettront à la Genève de demain de faire face à l’incontournable virage énergétique".

Enfin, face aux défis majeurs du 21ème siècle - réchauffement climatique, crise énergétique, droits démocratiques, rôle de l’Etat - tout le monde semble être d’accord que ce projet manque de souffle. Ce manque d’ambition s’est également manifesté par le retrait, au nom de la fameuse "convergence", de plusieurs avancées obtenues au cours des plénières telles que le droit d’éligibilité des étrangers au niveau communal, le quorum à 5% pour avoir des élus au Grand Conseil ou encore le congé parental.

Il est certainement légitime de s’interroger sur la pertinence de s’opposer à un projet de constitution compte tenu du fait que la révision a été acceptée par une forte majorité de votants il y a plus de 4 ans. De surcroît, il est gênant et douloureux de voter contre un projet de constitution quand on a participé à son élaboration.

Dans l’après-coup, force est de constater que la mise en place de cette constituante a été probablement une erreur compte tenu du climat politique qui règne à Genève. N’aurait-il pas été préférable de confier la révision de cette constitution à un petit groupe de juristes, le procédé utilisé avec succès pour la modernisation de la constitution fédérale il y a une dizaine d’années ?

En conclusion, quand on analyse ce projet de constitution en détail - rappelons que « le diable se trouve dans le détail » - et en tenant compte de l’importance politique des changements, le doute n’est plus permis. Malgré une gêne légitime compte tenu du travail de la constituante pendant 4 ans et d’une dépense d’une dizaine de millions de francs, il me semble qu’on ne peut que refuser ce projet de constitution peu innovatif, comportant de dangereuses régressions et garder l’ancienne constitution qui est, au fond, un texte moderne et progressiste puisque amendé plus de 130 fois !