Communauté genevoise d’action syndicale

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NON aux cadeaux fiscaux pour les actionnaires

vendredi 11 janvier 2008 par Claude REYMOND

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Tout le monde paie des impôts

Silvia Berger a gagné à la loterie. Oh, pas une grosse somme, mais cela met tout de même du beurre dans les épinards pour cette mère célibataire dont le salaire de vendeuse est modeste. Bien sûr, elle devra payer des impôts sur la totalité du gain.

Claudio Ferrari est sommelier. Du fait de ses horaires irréguliers, son employeur lui offre le repas, frugal, à midi ou le soir. Claudio Ferrari doit payer des impôts sur la valeur totale de ses repas, en sus de son salaire.

Il y a quelque temps, Jean Forel a hérité de 250 actions Novartis. Il doit bien sûr payer des impôts sur la totalité du dividende de 1,35 franc par action.

Ce régime repose sur un principe du droit fiscal suisse : tout revenu obtenu par une personne (y compris les personnes morales) est grevé par l’impôt. Le montant de celui-ci est fonction de la capacité économique : ceux qui gagnent davantage paient aussi plus d’impôts. Ce n’est que justice : les personnes aisées peuvent en payer davantage que les revenus modestes.

Tout le monde paie-t-il réellement des impôts ?

Ces principes fondateurs du droit fiscal suisse sont de plus en plus sapés. Si le conseiller fédéral Merz et la majorité des Chambres parvenaient à imposer leurs vues, un autre principe s’appliquerait à l’avenir : plus l’on gagne et moins l’on paie d’impôts. Les principaux bénéficiaires seraient les gros actionnaires des sociétés anonymes ou les principaux associés d’une Sàrl.

Prenons l’exemple de Jean Profitte qui possède, avec trois associés, la société de placement « Profitte et Cie » dont les bénéfices se chiffrent par millions.

Jusqu’à maintenant, ce bénéfice, c’est-à-dire le revenu de la société anonyme considérée juridiquement comme une personne distincte, est intégralement imposé. Toutefois, le conseiller fédéral Merz et le Conseil national entendent réduire fortement cet impôt sur le bénéfice. À elle seule, cette mesure se traduirait par une perte sèche de 3,5 milliards de francs pour la Confédération.

Le rêve de tout le monde : ne payer des impôts que sur 60 pour cent de son revenu

Une partie du bénéfice de la société « Profitte et Cie » est versée sous forme de dividende à Jean Profitte et à ses trois associés ; cela représente une coquette somme. Étant donné qu’il s’agit du revenu de ces quatre personnes, cette somme est jusqu’aujourd’hui aussi imposée en conséquence.

À l’avenir, il pourrait en aller autrement – et c’est sur ce sujet que nous sommes appelés à voter le 24 février 2008 : Jean Profitte et ses collègues ne payeraient des impôts que sur le 60 pour cent des dividendes, le reste étant offert par l’État. Les responsables politiques ont baptisé ce cadeau fiscal aux actionnaires de « Réforme de l’imposition des entreprises II ».

Aucun avantage pour la plupart des PME

Il faut toutefois savoir que le cadeau fiscal sur le 40 pour cent du revenu ne bénéficie qu’aux gros actionnaires qui possèdent au moins 10 pour cent d’une société de capitaux (SA ou Sàrl). Contrairement à Jean Profitte, Jean Forel, avec ses 250 actions Novartis héritées, n’en retire aucun avantage, pas plus que les nombreux propriétaires de PME qui ne possèdent ni SA ni Sàrl : ils devront toujours acquitter l’impôt sur la totalité du revenu qu’ils tirent de leur entreprise.

L’idée saugrenue du Palais fédéral

Comment peut-on tomber sur une idée aussi saugrenue ? Comment un parlement peut-il refuser d’exonérer de l’impôt le minimum vital – comme l’a fait le Conseil des États durant la session d’automne 2007 – tout en accordant des largesses fiscales aux gros actionnaires comme M. Profitte ? Quelle raison peut-il y avoir d’accorder un traitement fiscal plus indulgent au revenu des millionnaires qu’au revenu de Monsieur Tout-le-monde ou de personnes qui n’ont quasiment que le minimum vital pour vivre ?

Des privilèges contraires aux coutumes suisses

Pour justifier les privilèges éhontés et contraires aux coutumes suisses accordés aux gros actionnaires, le conseiller fédéral Merz avance pour l’essentiel deux raisons :

En premier lieu, sa réforme de l’imposition des entreprises entend éviter ce qu’il appelle la « double imposition économique ». Le conseiller fédéral Merz entend par là que chaque franc gagné par une entreprise est imposé en premier en tant que bénéfice de l’entreprise puis, après le versement des dividendes, en tant que revenu de l’actionnaire. M. Merz estime que cela est inéquitable.

Qu’y a-t-il donc d’inéquitable dans cette situation ? Il s’agit de deux personnes, une société anonyme et un actionnaire, deux agents économiques qui touchent un revenu. L’une, la société anonyme, le touche sous forme de bénéfice, l’autre, l’actionnaire, sous forme de dividendes. Les deux personnes bénéficient des prestations de l’État et les deux doivent donc logiquement acquitter des impôts. Il ne s’agit dans aucun cas d’une double imposition.

Moins d’impôts pour les femmes de ménage ?

Si l’on appliquait jusqu’au bout la logique tordue de la double imposition du conseiller fédéral Merz, Amalia Rodrigues, la femme de ménage de Pierre Bonnemaison, ne devrait payer des impôts que sur le 60 pour cent de son salaire. Pierre Bonnemaison, qui a une bonne situation, paie bien entendu ses impôts sur la totalité de son revenu. Il emploie une partie de ce revenu déjà imposé à rémunérer sa femme de ménage Amalia Rodrigues. Suivant la logique des partisans de la réforme de l’imposition des entreprises, Mme Rodrigues ne devrait payer d’impôt que sur le 60 pour cent de son salaire, étant donné que ces francs ont déjà été imposés chez Pierre Bonnemaison.

Bien sûr, le conseiller fédéral Merz n’aurait jamais eu l’idée d’imposer à seulement 60 pour cent le modeste salaire de Mme Rodrigues. Le moindre centime âprement gagné doit figurer sur la fiche de paie et est entièrement imposé.

Les réserves sont-elles une mauvaise affaire ?

Second argument avancé par les partisans du projet est celui-ci : les dividendes étant actuellement imposés à 100 pour cent, de nombreuses entreprises ne versent pas de dividende, préférant, disent-ils, augmenter les réserves de l’entreprise. De la sorte, concluent-ils, l’économie perd des investissements.

Qu’est-ce à dire ? En premier lieu, les réserves sont positives. Des entreprises et de nombreux emplois ont pu être sauvés en période de basse conjoncture parce que les entreprises disposaient de suffisamment de réserves. Si l’affirmation des partisans est correcte, les entreprises ne constitueraient plus de réserves au cas où l’imposition des dividendes était réduite ; cela n’est pas nécessairement une bonne nouvelle : l’existence de certaines entreprises pourrait être menacée à l’avenir.

Et qu’en est-il des investissements soi-disant non réalisés ?

Le conseiller fédéral Merz suppose que les gros actionnaires réinjecteraient dans l’économie la part des dividendes qui ne sera plus imposée, créant ainsi des emplois. En outre, les investisseurs seraient davantage disposés à placer leur argent dans des sociétés de capitaux si le revenu de leur placement (le dividende) n’était pas intégralement imposé.

Abstraction faite du peu de cas que cet argument fait du principe d’équité, les hypothèses de M. Merz sont à prendre avec des pincettes. Qui nous garantit en effet que les dividendes subventionnés par l’État seront réellement réinjectés dans l’économie plutôt qu’utilisés pour acquérir des yachts ou des villas à l’étranger ?

Subventions publiques pour des investissements en Chine ?

Rien n’exclut non plus que le revenu exonéré ne soit pas placé dans une entreprise florissante en Chine qui fera ensuite de la concurrence à nos emplois. Bien sûr, les dividendes versés à l’investisseur suisse par l’entreprise chinoise florissante seront eux aussi imposés à raison de 60 pour cent seulement. Une véritable machine à enrichir les gros actionnaires subventionnée par l’État.

Sans compter que certains cantons ont déjà introduit il y a quelque temps l’imposition partielle des dividendes. Or, l’on n’a pas pu y constater de hausse des investissements dans l’économie nationale ni de création d’emplois : l’hypothèse de M. Merz n’est pas confirmée.

Qu’ai-je à voir avec cette question ?

D’aucuns se poseront sans doute la question : en quoi cela me concerne-t-il ? Je ne suis pas un gros actionnaire, je touche un revenu moyen, je suis peut-être même le propriétaire d’une petite entreprise. Je paie bravement mes impôts.

Certes, ce n’est pas tout à fait convenable et même un peu inéquitable – se diront ces citoyen(ne)s – que les gros actionnaires n’acquittent l’impôt que sur le 60 pour cent de leur revenu, mais je n’en subis aucun dommage.

D’énormes dommages

C’est là qu’ils se fourvoient : ils subiront d’énormes dommages.

Si le peuple accepte le projet de loi, l’État sera privé chaque an de 2 milliards de dollars qui seront distribués aux gros actionnaires. De surcroît, si la baisse de l’impôt sur le bénéfice proposée, et déjà acceptée par le Conseil national, est adoptée, 3,5 milliards supplémentaires manqueront chaque année dans les caisses de l’État. La révision de l’imposition des entreprises et celle de l’impôt sur le bénéfice coûteront ainsi 5,5 milliards de francs aux contribuables ordinaires.

On priverait donc l’État de beaucoup d’argent dont il a un besoin urgent, par exemple pour la formation et le perfectionnement, le principal atout pour notre avenir.

Lorsque les recettes fiscales diminuent, l’État n’a que trois solutions : s’endetter, couper dans les dépenses nécessaires ou augmenter les taxes et redevances existantes.

Si le peuple accepte les cadeaux fiscaux, l’État combinera ces trois moyens : l’endettement de la Confédération reprendra l’ascenseur, des prestations importantes seront abolies, par exemple dans les assurances sociales et l’instruction publique. Et surtout, les taxes et les redevances augmenteront.

Main basse sur l’AVS

La réforme de l’imposition des entreprises prônée par le conseiller fédéral Merz aura même des conséquences inquiétantes pour l’AVS ; cela pour les raisons suivantes :

De nombreux gros actionnaires sont simultanément des employés de leur société qui leur verse un juteux salaire sur lequel ils doivent acquitter des impôts et des cotisations AVS.

Si l’imposition partielle des dividendes est introduite, la plupart des « employés-gros actionnaires » toucheront leur rémunération non sous forme de salaires, mais sous forme de dividendes, faisant ainsi d’une pierre deux coups : ils ne paieront des impôts que sur le 60 pour cent du revenu et ne déduiront plus les cotisations AVS de leur revenu. L’AVS sera ainsi privée de recettes représentant des millions de francs.

Non à la réforme de l’imposition des entreprises II

Unilatérale, antisociale, inéquitable et dangereuse pour notre économie, la réforme de l’imposition des entreprises cumule tous les vices. Ses conséquences :

  • La charge fiscale des actionnaires sera allégée, celle des salarié(e)s augmentera ; déjà très inéquitable, la répartition de la charge fiscale deviendra encore plus injuste.
  • Les patrons se déroberont à leur obligation de cofinancer l’AVS, ce qui en diminuera les recettes. C’est une attaque en règle contre l’AVS.
  • Les recettes fiscales de la Confédération et des cantons diminueront et, par conséquent, les prestations publiques aussi. C’est une attaque en règle sur notre État social dispensateur de services.
  • La Suisse sera privée des fonds dont elle a besoin pour s’assurer un avenir prospère. Cette politique économique fait fausse route.


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