Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Le référendum irlandais : évaluation initiale de la CES

mardi 24 juin 2008 par Claude REYMOND

Il est demandé au Comité exécutif :

• de prendre note du présent document


ETUC/ EC180/JM/sw/cd-20/06/2008 2

1. Après les Français et les Néerlandais, le peuple irlandais vient
de porter un rude coup à la façon dont le projet européen est
actuellement traité, et pas uniquement au traité de Lisbonne.
Si les Irlandais ont voté "non" pour de nombreuses raisons,
européennes et nationales, les craintes relatives à
l’abaissement de certaines normes sociales et aux politiques
néolibérales ont eu leur rôle. Les peuples attendent
désormais, c’est là leur bon droit, une action urgente de la
part des dirigeants européens.

2. Le ministre irlandais des Affaires étrangères, Micheál Martin, a
été le premier à déclarer que des causes sociales ont sous-
tendu le "non". Il a également fait allusion au fossé
considérable qui sépare les institutions européennes des
citoyens européens. Des événements et des défis
extraordinaires nécessitent des réponses qui le sont tout
autant.

3. Le "non" irlandais, qui fait suite aux "nons" français et
néerlandais, peut être interprété comme l’indicateur d’un
malaise vis-à-vis de l’Europe. Un nombre croissant de
citoyens considèrent l’Europe comme un satellite éloigné,
lointain, bureaucratique, et nombreux sont ceux qui
donneront à l’UE un message clair en ce sens si un
référendum leur en donne l’opportunité.

4. De nombreux citoyens se rendent également compte que le
Modèle social européen est menacé. Au début de l’évolution
vers l’intégration européenne, il était généralement admis que
la sphère sociale des États membres serait protégée des
règles du marché intérieur. L’autonomie des partenaires
sociaux et du dialogue social avait été confirmée, par
exemple, par le jugement de la Cour européenne de justice
dans l’affaire “Albany”. Or, une invasion rampante des règles
du marché intérieur peut être constatée depuis lors. Des
jugements plus récents rendus par la Cour (p.ex. Viking, Laval
et Rüffert) semblent confirmer la supériorité des règles du
marché intérieur sur les systèmes de relations industrielles. Le
message sous-jacent envoyé par la Cour est que les salaires,
grâce à la libre circulation des services, peuvent être utilisés
comme un outil concurrentiel ; des salaires bas constituent un
avantage concurrentiel.

5. La CES a déjà tiré la sonnette d’alarme. Nous ne pensons pas
que les citoyens en général soient sceptiques à l’égard de
l’élargissement en tant que tel, mais plutôt par rapport à la
concurrence déloyale. Ils ne sont pas sceptiques vis-à-vis d’un
"trop-plein" d’Europe mais sont inquiets d’un manque de
politique sociale. Ils ne sont pas hostiles aux immigrants mais
à l’exploitation et au traitement de seconde zone des
immigrants. Ils ont le sentiment que l’Europe s’engage par
trop dans la direction de la concurrence et pas assez vers une
solidarité accrue et une harmonisation vers le haut.

6. L’Europe se doit de réaliser à quel point il est difficile de
vendre un traité qui apporte des améliorations
institutionnelles mais aucun progrès social majeur. La Charte
des droits fondamentaux – le principal argument de vente de
la CES – a perdu quasiment toute visibilité dans le traité de
Lisbonne. Quant au fait que nous n’avons pas pu faire état de
progrès importants en matière de politique sociale, il s’est
avéré, une fois de plus, un handicap majeur. Dès la
Convention "constitutionnelle" d’origine, la CES avait déjà
souligné le fait que le traité devait être explicité,
communiqué, "vendu" aux peuples. Dès le début de la
campagne, le camp du "oui" a été gêné par l’absence, au sein
du traité, d’un projet assez clair pour captiver l’attention des
opinions publiques. Par contre, le texte contenait de
nombreux points techniques que les forces opposées à
l’establishment européen ont eu beau jeu d’exploiter.

7. C’est le devoir de la CES d’avancer des éléments
d’explications sur les raisons qui poussent la classe ouvrière
en particulier à ne pas donner son assentiment aux
modifications des traités. Il n’existe pas de raison unique
expliquant le "non" mais la forte proportion de "nonnistes"
dans les zones ouvrières irlandaises (comme en France
précédemment) souligne un ensemble particulier de
perceptions et de sentiments qui se rejoignent pour mieux se
renforcer : crainte de la mondialisation, manque de résultats
de la politique sociale, récents jugements des tribunaux,
absence de contrôle sur la concurrence déloyale et salaires
vus comme outils concurrentiels, etc.

8. À l’heure où la classe ouvrière a tendance à rejeter l’Europe
après des décennies de consensus permissif, l’Europe officielle
se doit d’écouter ce message afin de faire mieux et plus pour
les travailleurs. Dans les récentes affaires passées en
jugement, dont mention ci-dessus, la concurrence salariale
est vue comme un élément normal du marché intérieur.
L’accord au sein du Conseil affaires social, conclu quelques
jours avant le référendum irlandais, a démontré que l’Europe
se trouvait du côté de la régression sociale (même si l’accord
ETUC/ EC180/JM/sw/cd-20/06/2008 4
sur les travailleurs intérimaires, conclu le même jour,
constitue un exemple récent de progrès évident, mais
malheureusement isolé).

9. Il faut désormais un changement politique. L’Europe doit
écouter la voix résonnante et alarmante du peuple. Il est
possible de poursuivre la ratification et de demander à
l’Irlande ce que veut le peuple irlandais de l’Europe et
d’examiner quels protocoles pourraient être ajoutés , en ce
compris un protocole sur le progrès social, comme le
demande la CES afin d’affirmer la primauté des droits
fondamentaux sur le marché unique.

10. Et aujourd’hui, l’Exécutif de la CES appelle le Conseil
européen à reconnaître sans réserve qu’il n’y aura aucune
chance de s’adjuger le soutien populaire dans tous les pays
d’Europe sans une dimension sociale effective, visant à offrir
de la sécurité dans le cadre du processus de changement. Les
élections européennes, qui se tiendront d’ici un peu plus d’un
an, seront un autre test de popularité pour l’UE... La CES veut
adresser un avertissement solennel aux chefs d’État et de
gouvernement, à la Commission et au Parlement : vous
pouvez mieux faire et vous devez mieux faire ! Montrez que
vous pouvez protéger et renforcer l’Europe sociale et l’Europe
en général. Faites la preuve qu’avec un nouveau protocole
pour le progrès social, il serait possible d’établir une fois pour
toutes la primauté des droits fondamentaux comme le droit de
négociation collective et le droit de grève, et de montrer qu’ils
ne sont pas subordonnés aux règles du marché unique. Ce
processus pourrait bien reporter le délai nécessaire pour la
ratification au-delà de la fin de cette année.

11. Enfin, la CES, lors de son Congrès de Séville, a décidé de
soutenir la “coopération renforcée” si celle-ci est le dernier
ressort pour renforcer l’Europe sociale : “Par le passé, la CES a
déjà accepté la nécessité pour certains groupes de pays de
relancer l’intégration politique, économique et sociale, lorsque
cette solution est le dernier moyen d’éviter un arrêt. Une telle
"Europe noyau" devrait cependant viser à intégrer d’autres
États membres aussi rapidement que possible et à les porter
vers des normes sociales supérieures, afin de mettre un terme
au fossé social permanent durable au sein de l’UE.” Nous
souhaitons éviter coupures et fossés mais cela ne pourra se
faire que sur la base d’une dimension sociale à la fois solide et
populaire.