Communauté genevoise d’action syndicale

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Emploi/chômage : tracasseries administratives, flicage et sanctions sur le dos des chômeurs

mardi 24 mai 2016

Des mesures au dénominateur commun : l’austérité et la pression sur les chômeurs-euses

Depuis quelques mois, le Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé ( DEAS ) et l’Office cantonal de l’emploi (OCE) multiplient les initiatives d’apparence mineures et anodines :

  • modifications de la loi cantonale sur le chômage en matière d’Emplois de solidarité (EdS) puis d’Allocations de retour en emploi ARE) ;
  • réorganisation de l’OCE ;
  • priorité à l’attribution d’Allocations d’initiation au travail (AIT) durant le délais-cadre, mesure financée par la Confédération et réduction des ARE pour les chômeurs-euses en fin de droit, mesure financée par le Canton ;
  • mise en place en un temps record de i-emploi, nouvelle mesure destinée aux personnes peu à l’aise avec la langue française, en supprimant les cours de français pour les non francophones ;
  • modification de la procédure d’inscription au chômage ;
  • et, dernière mesure en date, dès le 1 juin, doubler de 5 à 10 le nombre de recherches d’emploi mensuelles exigibles pour tous-tes les chômeurs-euses sous peine de sanction.

D’apparence anodine et dispersées, ces mesures ont toutes un dénominateur commun. Ce dernier n’est pas la réinsertion rapide et durable des chômeurs-euses qui devrait être au cœur de la mission de l’OCE, mais des économies dans le budget cantonal dévolu au chômage conformément à la politique du Conseil d’Etat. Ce alors que la Cour des comptes a déjà mis en évidence le retrait des politiques publiques (de 89 millions en 2007 à 54 millions en 2014), de nouvelles mesures vont réduire ultérieurement l’aide aux chômeurs-euses. Ce alors que le Canton souffre d’un chômage structurel chronique dû notamment à l’abandon progressif de l’industrie au profit d’activités hautement spécialisées et très rentables et en prévision de l’austérité qui accompagnera la réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III).

Augmenter sans distinction le nombre de recherches d’emploi : surveiller et punir au lieu de soutenir

La goutte qui fait déborder le vase est la dernière mesure en date prise par l’OCE et qui vient d’être communiquée aux chômeurs-euses : à compter du 1er juin 2016, toutes les personnes au chômage – hormis les personnes en arrêt maladie ou accident – sont astreintes à produire 10 recherches d’emploi par mois au lieu de 5 aujourd’hui, et ce quel que soit leur situation. Ainsi, que l’on suive un cours durant toute la journée du lundi au vendredi, que l’on soit astreint-e à un stage dans une administration ou dans une entreprise privée (donc que l’on travaille avec pour seul revenu les indemnités de chômage), que l’on soit en gain intermédiaire, proche de l’âge de la retraite ou enceinte, tout le monde est soumis sans nuance au même régime. Et quel que soit le domaine d’activité dans lequel on recherche un emploi – dans la restauration où il y a sinon de nombreuses places vacantes, du moins de nombreux employeurs potentiels ou projectionniste de cinéma où il n’y a qu’une poignée d’employeurs potentiels. Lorsque 10 recherches (réponses à des annonces, offres spontanées, "faire marcher son réseau" etc.), ne sont pas produites, l’assuré-e encourt une pénalité, soit le retrait d’indemnités par l’OCE. En cas de cumul de sanctions, l’assuré-e peut se retrouver expulsé-e de l’assurance chômage. Or, l’OCE est rétribué par le SECO pour les pénalités prononcées.

Cette mesure est critiquable à plus d’un titre :

  • elle est disproportionnée car ne tient pas compte des situations courantes telles que le gain intermédiaire, les formations et stages qui occupent à temps complet les assuré-e-s ;
  • elle ignore la situation économique et le marché ;
  • elle ignore les politiques de recrutement des entreprises, dont celles qui excluent l’engagement de personnes proches de l’âge de la retraite et des femmes enceintes.

Doubler le nombre de recherches dans ces cas est vain. La mesure n’a finalement d’autre efficacité que celle d’humilier un peu plus des exclus, durablement ou temporairement, du marché.

La CGAS s’oppose à cette tracasserie administrative, parce qu’elle est inefficace quant à la réinsertion des chômeurs-euses, visant à surveiller et punir au lieu de soutenir :

  • elle fournit à l’OCE plus de moyens de sanctionner les chômeurs-euses ;
  • elle met la pression sur les assuré-e-s pour qu’ils-elles acceptent le plus rapidement possible n’importe quel emploi, même éloigné de leurs compétences et qualifications ;
  • elle vise à cumuler les sanctions en vue de priver d’assurance chômage un nombre plus important d’ayant droit ;
  • elle vise à décourager certaines catégories de poursuivre à l’assurance-chômage ;
  • elle vise à réduire artificiellement le nombre de chômeurs-euses dans les statistiques.

Priver les chômeurs-euses de leurs droits

L’OCE fait peu de cas des droits des chômeurs-euses, par exemple à bénéficier de l’assurance PCM en cas d’incapacité de travail due à la maladie. L’OCE essaie ainsi de nier le droit aux PCM des assuré-e-s en faisant estimer par des médecins-conseil qu’il s’agit de cas de rechute d’une maladie antérieure à la période de chômage. Ces médecins-conseil ne prennent même pas le temps de convoquer les assuré-e-s pour un examen médical et jugent sur dossier, de façon convenue. Par deux fois déjà, le Tribunal cantonal des assurances sociales a sanctionné l’OCE pour cette pratique les 18 décembre 2015 et 21 avril 2016.

Privilégier les AIT pour réduire les ARE dans le but de faire des économies
Parce que elle peut intervenir de manière précoce en début de chômage et se révéler plus utile à une réinsertion durable que d’autres mesures, la CGAS est favorable à un octroi plus important de la mesure AIT à financement fédéral préconisé par le département. A condition de maintenir l’octroi d’ARE à financement cantonal pour les chômeurs –euses en fin de droit. Or, le canton, plus intéressé aux économies cantonales qu’à la réinsertion des chômeurs en fin de droit, augmente le nombre d’AIT de 18 en avril 2015 à 32 en avril 2016, en diminuant fortement en parallèle le nombre d’ARE, de 512 en avril 2015 à 473 en avril 2016.

Projet de modification des ARE : encore des économies au détriment des chômeurs-euses de longue durée

Le récent projet de modification du chapitre de la LMC concernant les ARE clarifie que les durées de 12 respectivement 24 mois pour les + 55 ans sont des durées maximales et non pas des durées fixes de la mesure – et la pratique d’attribuer des ARE sur de courtes durées, entamée déjà avant l’entrée en vigueur de la révision, s’est depuis lors confirmée.

Ce projet de révision introduit en revanche une nouveauté, à savoir que le versement des ARE est conditionné au provisionnement budgétaire de l’Etat – autrement dit, même si une décision de subventionner une entreprise qui a engagé un-e chômeur-euse en fin de droit a été rendue, le versement des allocations n’est pas garanti.
La CGAS reste vigilante vis-à-vis d’un subventionnement des entreprises privées par l’Etat pour être prêtes à engager des chômeurs-euses en fin de droit, toutefois force est de constater que cette mesure présente l’avantage de réinsérer les personnes victimes d’un chômage, souvent de longue durée, de façon relativement durable dans le marché de l’emploi, et ce, pour un pourcentage relativement élevé des personnes qui en bénéficient. Un rabotage et un rationnement de cette mesure ne peut se faire qu’au détriment des personnes éligibles à ces mesures : l’Etat fait donc des économies sur le dos des plus fragiles pour pouvoir faire bénéficier les plus forts et les entreprises de ses largesses.

i-emploi : De l’ « activation » au placement en stage sous peine de sanctions

La nouvelle mesure i-Emploi est destinée à remplacer à la fois les cours de français pour non-francophones, les cours d’informatique de base et les cours de méthodologie de recherche d’emploi. Dans ce cas les économies dans le budget cantonal sont de prime abord moins visibles étant donné que le coût budgété pour ces nouvelles mesures est plus élevé que les économies faites sur les cours classiques qu’elle est destinée à remplacer. La mesure, censée démarrer en janvier 2017 et adressée aux nouveaux-elles inscrit-e-s à l’assurance chômage, est une mesure qui consistera en une sorte de coaching des demandeurs d’emploi non-francophones qui doivent se rendre dans les locaux de i-Emploi tous les jours durant 6 heures pour s’ « activer » et faire de la recherche d’emploi surveillée au moyen des nouvelles technologies de l’information, avec une aide à la rédaction de CV, lettres de motivation et préparation des entretiens d’embauche.

i-emploi a ainsi 4 objectifs :

  • tester l’aptitude au placement : les chômeurs-euses sont-ils/elles disponibles tous les jours durant 6 heures pour effectuer des recherches d’emploi ?
  • contrôler que les personnes recherchent effectivement un emploi plutôt que de "profiter" du temps libre que leur "offre" le chômage, cas échéant les sanctionner ;
  • forcer les personnes à accepter n’importe quel travail à n’importe quelles conditions en les dégoûtant par une mesure contraignante ;
  • placer ces personnes en stage de quelques jours ou quelques semaines auprès d’employeurs avec pour seule rémunération les indemnités de chômage, une sorte de période d’essai aux frais des chômeurs-euses et de la collectivité publique alors qu’il incombe aux entreprises de rémunérer la période d’essai.

Le résultat en sera une baisse artificielle du taux de chômage durant quelque temps et une accélération de la rotation des personnes qui seront tantôt au chômage et exerceront tantôt un emploi précaire. En contrepartie, l’OCE, qui est rétribué en fonction de la rapidité avec laquelle les personnes sortent du chômage après leur inscription, espère augmenter la part de son budget de fonctionnement remboursé par le Secrétariat d’Etat à l’économie et ainsi pouvoir diminuer la part cantonale de ce budget.

Accélération de la procédure d’inscription au chômage ou tracasserie administrative ?

L’OCE espère bénéficier de la même façon du report d’une part plus importante du budget de fonctionnement de l’OCE sur l’assurance-chômage en modifiant et accélérant le processus d’inscription – et de désinscription – des personnes s’annonçant au chômage. En effet, depuis le début de l’année, les personnes qui s’annoncent au chômage doivent au préalable remplir un questionnaire – disponible seulement en français – fournissant toutes les informations dont l’OCE a besoin pour parfaire l’inscription. Les réponses sont rapidement vérifiées lors d’un entretien dont la durée à été considérablement raccourcie par rapport à l’ancienne méthode d’inscription, puis rendez-vous est donné à la personne dans les 48 heures après cet entretien pour venir signer la confirmation d’inscription qui aura entre-temps été établie sur la base des renseignements fournis dans le questionnaire. Si la personne ne se rend pas à ce rendez-vous, elle est désinscrite sans autre formalité – faisant ainsi baisser le taux de chômage à Genève et augmenter la rétribution de l’OCE par le SECO. Le même risque de désinscription sans autre formalité se reproduit lors du premier rendez-vous avec le/la conseiller-ère – sauf si la personne fournit des excuses valables (arrêt maladie etc.) au plus tard dans les 48 heures après le rendez-vous manqué – avec le même bénéfice pour l’OCE.

Conclusions : stop aux politiques d’austérité sur le dos des chômeurs-euses, création de vrais emplois, droits égaux pour tous et toutes

Tous ces éléments montrent bien dans quelle direction évolue la politique en matière de chômage voulue par le Conseil d’Etat et par la direction de l’OCE :

  • augmenter la part du budget de fonctionnement de l’Office remboursé par l’assurance-chômage fédérale et donc baisser la part supportée par le budget cantonal ;
  • baisser le montant global des ARE par la priorité donnée à l’attribution d’AIT, par la diminution de la durée des ARE encore consenties et par l’introduction d’un conditionnement du versement des ARE pourtant décidées au provisionnement du budget de l’Etat à cette fin ;
  • mettre la pression sur les ayants droits à l’assurance chômage, se donner les moyens de sanctionner plus souvent, cumuler les sanctions pour priver du droit au chômage un nombre plus important d’ayant droit afin de diminuer artificiellement les statistiques du chômage ;
  • fonctionner comme un auxiliaire des politiques patronales de précarisation de l’emploi en fournissant de la main d’œuvre ponctuellement en fonction des besoins des entreprises, faire assumer à la collectivité les coûts de période d’essai afin de faciliter les choix des entreprises.

La CGAS s’oppose à ces mesures et tracasseries administratives qui pénalisent les chômeurs-euses et demande leur retrait. Au lieu d’une politique de retrait du soutien aux chômeurs-euses, elle prône la création volontariste de vrais emplois pour répondre aux besoins de la population, et en premier lieu la transformation des actuels postes d’EdS en emplois fixes rémunérés selon la fonction, la CCT ou le CTT.

La CGAS prône l’amélioration du droit à la formation, y compris les formations qualifiantes et certifiantes longues en vue d’une reconversion professionnelle. En lieu et place de la préférence nationale et cantonale, qui ne sert ni à créer des emplois ni à lutter contre la sous-enchère salariale ni à lutter contre les abus patronaux, mais à légitime des idéologies xénophobes et racistes, elle prône la préférence à l’emploi pour les chômeurs-euses en incluant les frontaliers-ères qui ont perdu leur emploi à Genève.

La CGAS lutte pour l’égalité des droits entre tous et toutes les salarié-e-s qui produisent la richesse de Genève, sans distinction de passeport et de nationalité, que l’on soit suisse-sse, immigré-e, frontalier-ère ou sans papiers, et ce sans négliger l’égalité salariale entre hommes et femmes. Le droit au chômage et les prestations de l’OCE doivent être ouverts également aux frontaliers-ères qui cotisent à l’assurance chômage suisse et ont perdu leur emploi à Genève.

Pour la CGAS
Manuela Cattani, Présidente
Joël Varone, Vice-président