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Paru dans le Courrier 9 septembre

Les études contre le redoublement sont béton

mardi 19 septembre 2006 par Claude REYMOND

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE KOESSLER

Le Courrier, 9 septembre 2006

VOTATIONS - Que disent les sciences sociales sur le débat actuel qui déchire l’école ? Si le redoublement est inefficace, les mesures alternatives tardent à apparaître, répond le professeur Marcel Crahay.

L’Association refaire l’école (Arle) et la droite se leurrent en prônant les notes et le redoublement à l’école, estime Marcel Crahay, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Genève. Arrivé il y a seulement deux ans et demi dans la cité de Calvin, ce chercheur belge porte un regard à la fois bien informé et distancié sur les débats qui déchirent l’école genevoise. Le Courrier l’a interrogé sur les études scientifiques portant sur les deux questions clefs de la votation du 24 septembre sur l’école.

Que pensez-vous des notes et des moyennes proposées par l’Arle et la droite ?
C’est un vrai problème. Je pense que Jean Romain (de l’Arle, ndlr) se mélange les pinceaux. Il affirme que les notes instaurent une dynamique de progrès, qu’elles incitent les élèves à faire mieux. Sa théorie de la motivation n’est pas correcte. Les études psychosociales ont montré que les notes entraînent l’élève à se comparer aux autres, et non pas à lui-même, dans une logique de progression. Cette compétition n’est pas bénéfique. Les plus faibles vivent dans la peur et dans l’anxiété face à la menace des notes. Ils vont apprendre par coeur ou même tricher, au lieu de chercher à comprendre. Ils ne vont donc pas assimiler la matière. Les plus forts adopteront pour leur part une stratégie de rétention d’information, plutôt que de partage avec les camarades. A terme, la note est donc contre-productive. Elle entraîne aussi des croyances négatives chez l’élève, du type « je ne suis pas fait pour les math », alors que ce n’est pas vrai.

Que faudrait-il donc faire pour motiver les élèves ?

L’enseignant doit veiller à ce que l’élève reste convaincu qu’il peut s’améliorer. Lorsque le maître est face à un mauvais travail, il doit analyser pourquoi et l’attribuer à des raisons précises et modifiables. Par exemple, « je ne lis pas assez bien les consignes », « je ne connais pas suffisamment mes tables de multiplication », etc. Un 4 ou un 5 ne donnent aucune information précise. Mais la population est habituée aux notes. Il faut en tenir compte. Et je pense que Charles Beer (le chef du DIP, ndlr) l’a fait en réintroduisant des notes à titre indicatif.

Les notes « certificatives » ne permettent-elles pas de mesurer objectivement les acquis ?

Non, cela a été démontré par des études sérieuses déjà dans les années 1950 et 1970. On a donné les mêmes copies d’épreuves à corriger à vingt juges impartiaux et on constaté que les notes attribuées étaient fort différentes. L’évaluation est subjective, qu’elle soit avec ou sans notes.

Les études scientifiques sur les notes sont-elles suffisamment sérieuses ?
Oui. Mais il s’agit surtout d’études « de laboratoire », menées sur des classes ou des élèves pris isolément. Pas d’études globales.

Qu’en est-il du redoublement ?

Là, les études sont béton. Je les ai recensées en 2003 dans mon livre Comment lutter contre l’échec scolaire ?. Il y en avait plus de deux cents à l’époque, et il y en a plus encore aujourd’hui, qui montraient l’inefficacité de la mesure. Ces recherches montrent que les redoublants progressent, c’est indéniable. Mais beaucoup moins que ceux qui passent à l’année suivante !

Comment, alors, éviter l’accumulation de lacunes ?

L’Arle fait un bon constat : il faut que les requis scolaires soient stabilisés avant d’aller plus loin. Mais elle en tire une mauvaise conclusion : le redoublement. La rénovation avait une autre réponse : la différenciation des apprentissages. Il faut constater les lacunes, puis y travailler individuellement durant l’année scolaire à l’aide d’un enseignant généraliste non titulaire (GNT) ou par petits groupes, appelés « groupes de besoin ». On s’y penche sur un aspect particulier qui n’a pas été assimilé : l’accord des participes passés, par exemple. Ce n’est pas la peine de revoir toutes les matières de A à Z.

Pourtant, beaucoup constatent que cela ne fonctionne pas bien...

C’est vrai. On ne peut se satisfaire de la situation actuelle. La différenciation n’est pas bien implantée dans les écoles. Plutôt que de faire la guerre des notes, il faudrait améliorer les appuis aux élèves... Proposer les notes et le redoublement dans la situation actuelle, c’est comme dire : « On n’a plus d’antibiotique, pratiquons la saignée ! »

Que proposez vous donc ?

Il n’y a pas de recette miracle. Il faut reconnaître que les alternatives au redoublement dont nous disposons ne sont pas suffisantes aujourd’hui. Le développement des « groupes de besoin » et le ciblage des appuis par le GNT peuvent faire avancer les choses. Mais de nouvelles recherches spécialisées sont nécessaires, menées en collaboration avec les enseignants, pour trouver d’autres solutions. I