Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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votations du 24 septembre 2006

école : 2 x NON aux projets élitistes

vendredi 14 juillet 2006 par Claude REYMOND

La CGAS s’est associée au comité unitaire 2xNON le 24 septembre 2006, et se fait un plaisir de publier ici une lettre diffusée par "Former sans exclure" qui contribue à soutenir cette recommandation.



« N° 7 | 28 juillet 2006

Une école de qualité ? Quatre raisons de voter 2 x NON le 24 septembre

Un comité pour une école genevoise « de qualité » vient de se créer. Il veut une instruction publique fondée sur (1) le droit au savoir, (2) des objectifs précis, (3) la volonté de les atteindre et (4) de régulièrement les mesurer. Il a raison ; la connaissance est trop précieuse pour en priver certains enfants, même et surtout ceux qui ne la demandent pas spontanément. Mais ce même groupe propose de voter 2 x oui le 24 septembre - oui aux moyennes chiffrées, oui au redoublement intégral des années manquées. Là, il a tort ; ce sont ces méthodes, justement, que les systèmes efficaces ont abandonnées. À l’école obligatoire, l’exclusion est toujours un problème, jamais la solution. Comment élever le niveau en reléguant les élèves les plus faibles et en poussant les autres vers la moyenne plutôt que vers l’excellence personnelle et le savoir pour tous ?

3, 3,5 ou 4, « médiocre », « passable » ou « assez bien », peu importe : comme son nom l’indique, la moyenne nivelle d’abord par le bas. Les élèves opportunistes ont une calculette dans le cerveau : ils visent moins le savoir lui-même que les stratégies permettant de passer l’année à moindre frais. Ceux qui sont en difficulté comprennent de leur côté, dès décembre ou janvier, qu’il serait vain d’espérer se remonter : ils passent logiquement les six mois qui restent à attendre de refaire le programme en entier ! On ne peut pas dire que l’effort soit vraiment valorisé...

Les enseignants connaissent l’absurde dilemme du redoublement : si l’enfant a de gros problèmes en mathématiques (ou en orthographe, ou en allemand, etc.), soit il refait toute l’année, y compris les disciplines dont il pourrait se passer, soit il est promu parce qu’on ne veut pas le pénaliser, et les lacunes s’accumulent sans que soient prises des mesures de remédiation et de consolidation intensives et ciblées. Nous pouvons tous croiser un ancien élève se félicitant d’avoir répété une année : cela ne dit ni ce que lui aurait apporté un soutien spécifique, ni ce que sont devenus ses camarades plusieurs fois recalés. Le drame de l’échec scolaire, c’est que ceux qu’il touche se sentent rarement qualifiés pour dénoncer un système de tri censé placer chaque enfant à l’endroit que son « mérite » lui a désigné.

La recherche en éducation, les études internationales et l’expérience des enseignants montrent pourtant que les mauvaises notes, le redoublement et, au bout du compte, la sélection et les filières séparées vont globalement à rebours du bon sens. Reléguer pour mieux former est objectivement une fausse bonne idée : il faut soutenir l’apprentissage, pas le décourager ; lutter contre l’ignorance, pas contre les élèves en difficulté. La qualité ne se décrète pas : on ne soigne aucun mal en doublant la dose d’un remède inapproprié.

Reprenons donc une à une les quatre intentions initiales que tout le monde peut partager. Et voyons en quoi le renversement de perspective impose - justement pour ces raisons - de voter, non pas 2 x oui mais 2 x non.

1. La mesure des résultats : oui il faut les évaluer, mais pour informer l’action, pas pour justifier l’abandon. Les moyennes servent d’abord à classer, pas à mesurer. Si un athlète saute 2 mètres 40 la veille de la compétition, son entraîneur lui refusera-t-il l’inscription au concours parce qu’il faisait 2 mètres 10 au début de la saison ? Note ou pas note n’est pas la question tant qu’on ne dit pas si le chiffre est une punition ou un vrai moyen d’évaluer la progression vers des buts.

2. La volonté de (se) former : plus on veut progresser, plus on se concentre sur le prochain palier et plus on cherche à mesurer, non la hauteur de la barre, mais ce qu’il faut faire pour la dépasser. Une évaluation formative, des commentaires ciblés et un éventuel code chiffré (6 = très bien, 5 = bien, etc.) sont bien plus clairs, juste et exigeants qu’une moyenne qui brouille les pistes et tire l’essentiel de la classe vers le bas plutôt que le haut.

3. Des objectifs bien identifiés : si le sauteur souffre d’une élongation, d’un manque de tonicité ou d’une prise d’appel mal synchronisée, l’entraîneur ne reprend pas toute la préparation à zéro : il va droit au but et soigne le muscle, ou le geste technique, ou la capacité à améliorer. Comment affirmer que l’école doit d’abord apprendre à lire, à écrire et compter, et n’offrir aux mauvais lecteurs que la ressource de refaire en bloc une ou deux années ? Si les cycles sont plus indiqués que les degrés, ce n’est pas pour attendre plus longtemps que s’aggravent les difficultés, mais pour que les équipes enseignantes puissent intervenir au contraire de manière souple, rapide et différenciée, en organisant des groupes de besoin, des modules thématiques ou des soutiens ponctuels centrés sur les objectifs à atteindre - justement - en priorité.

4. Le droit au savoir, enfin : de quel droit parle-t-on ? Celui de recevoir l’instruction, ou celui de se l’approprier vraiment, de sortir de l’école avec les moyens de vivre dignement ? Nous nous inquiétons de plus en plus, et à juste titre, des jeunes de 15 ans qui quittent l’institution sans compétences solides et avec - à la place - la ferme conviction qu’ils ne sont pas capables d’apprendre. Une récente étude de l’Office fédéral de la statistique montre que ce n’est pas le niveau qui baisse, mais l’exigence qui monte. Elle rappelle aussi que le score moyen d’une société est d’autant plus élevé qu’elle sait réduire le nombre des élèves en grande difficulté. L’école ne peut pas tout, mais elle n’est pas non plus hors du monde : elle aussi peut réduire ou au contraire creuser les inégalités.

Le débat genevois est faussé : un élève sur cinq aurait besoin d’une aide spécifique, rapide, intensive, ciblée sur ses difficultés. Au lieu de cela, on propose le redoublement complet d’une année, sur la base d’un chiffre trop vague pour dire ce qu’il faudrait retravailler. Le texte de l’initiative prévoit 6 degrés que l’on peut tous redoubler : les mauvais élèves passeront-ils au Cycle à 18 ans passé ? Celui du contre-projet voit le problème et affirme que l’on ne peut refaire son année "qu’une seule fois pendant la scolarité" : répétez votre 2e primaire, et votre promotion sera automatique jusqu’à la 7e où vous retrouverez un second "droit de redoubler" ! A quoi bon tout ce débat sur les notes, si elles interviennent en 3e primaire et que les élèves en échec passent de toute façon de degré en degré ?

On dira bien sûr que les maîtres ne sont pas des écervelés et qu’ils feront leur possible pour aider l’élève, même et surtout s’il a déjà été sanctionné. Mais alors, pourquoi ce qui est bon quand l’enfant a pris du retard ne l’est pas plus tôt, pour éviter le revers et la perte sèche d’une année ? Pourquoi faire confiance aux enseignants après le redoublement et pas avant, quand il s’agirait de prévenir l’échec pour moins avoir à le soigner ?

Si les systèmes scolaires cherchent tous à rendre les progressions moins rigides et les évaluations plus formatives, c’est précisément parce que les professionnels ont la faiblesse de penser qu’ils peuvent ainsi mieux prendre en charge les difficultés, pas seulement quand le mal est fait, mais aussi et d’abord en amont, pour prévenir les décrochages, les abandons, tout ce qui rime avec impuissance et résignation.

Les mauvaises notes et le retard scolaire sont le problème : en faisant croire qu’ils sont le remède, on déqualifie les maîtres, on inquiète les parents et on trompe la population. Comment bâtir "une école de qualité" sur des fondations aussi mal posées ?