Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

Rue des Terreaux-du-Temple 6 - 1201 Genève

iban CH69 0900 0000 8541 2318 9

Salaire minimum légal (SML) : la position de la CGAS

lundi 23 mars 2009 par Claude REYMOND

Texte remis le 20 mars 2009 à la commission législative du Grand Conseil, chargée d’étudier l’initiative populaire de SolidaritéS (IN 142)

Le débat sur le salaire minimum légal (SML) est d’actualité, notamment après le lancement et l’aboutissement d’initiatives cantonales en Suisse romande.

Cette proposition d’un SML a pris du poids avec l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne. Un SML – comme il existe dans beaucoup d’autres pays – empêcherait à coup sûr une sous-enchère salariale imposée par les employeurs et leur profitant. Mais cela ne règlerait pas le problème en entier : le plus souvent, la sous-enchère ne se pratique pas en ne respectant pas les salaires conventionnels, mais en engageant des salarié-e-s meilleur marché tout en restant dans les normes conventionnelles.

Les réticences syndicales

Pendant longtemps, les syndicats suisses ont été opposés à un SML. Cette réticence tient principalement à trois facteurs.

1.

La première réticence provient du fait que l’édifice des conditions de travail au sens large tient en Suisse sur des accords entre partenaires sociaux, soit entre syndicats et patronat. L’État n’intervient que pour donner un cadre général. C’est là le principal fondement de la "paix du travail", qui est de fait – entre autres choses - une barrière contre l’immixtion de l’État dans les affaires professionnelles. Cette primauté donnée au "corporatisme" est en droite ligne le fruit de la construction du mouvement syndical au début du XXe siècle, avec l’accent primordial dans l’organisation syndicale professionnelle au détriment d’une organisation de nature interprofessionnelle.

Pour les syndicats – et les employeurs – ce sont exclusivement les partenaires sociaux qui doivent fixer les salaires, et non pas l’État. On a vu ce principe se traduire par le refus de beaucoup de syndicats de toute modification législative, par exemple en ce qui concerne la réduction de l’horaire de travail (jusqu’aux années 1980).

Cette position qui peut sembler un peu étrange a pour justification, du point de vue syndical, qu’il est plus facile d’établir des rapports de forces, des mobilisations dans le cadre des négociations salariales ou de CCT qu’à un niveau général, en tenant compte de l’ancrage à droite des instances politiques.

2.

La deuxième réticence tient au concept de SML au niveau national, car il existe de fortes disparités régionales entre les salaires. On sait aussi que le coût de la vie est très différent entre les cantons (loyer, assurance maladie … impôts). La fixation d’un SML national unique serait un alignement sur les plus bas salaires pratiqués en Suisse, au mépris des conditions de vie des salarié-e-s. C’est la raison pour laquelle une grande CCT nationale comme celle de la mécatronique ne comporte pas de salaires minimaux.

C’est pour cela que toute discussion sur l’instauration d’un SML doit prendre en compte trois dimensions :

  • il faut que la fixation d’un SML se fasse sur une base régionale, voire cantonale. Les instruments statistiques existent. Il faut donc changer la Constitution fédérale ou les Constitutions cantonales ;
  • le SML doit évoluer régulièrement. Comme les instances politiques ne sont pas forcément favorables aux salarié-e-s, il faut prévoir une indexation régulière (avec des critères à déterminer : coût de la vie, indice des salaires, produit intérieur brut ; etc.) ;
  • l’instance qui fixerait le SML doit intégrer les partenaires sociaux.
3.

Enfin, la troisième réticence se fonde sur l’analyse d’autres dangers observés dans ce qui se passe à l’étranger :

  • fixer une norme minimale absolue conduit les employeurs à s’y référer de façon absolue également. Le SML tend donc à tirer tous les salaires vers le bas, puisque un employeur ne voit aucune raison de payer davantage que ce à quoi la loi l’oblige ; notons cependant qu’il existe dans certains domaines des bases légales qui n’ont pas forcément pour effet de "tirer vers le bas" les conditions (horaire de travail, vacances, échelle de Berne, etc.) ;
  • dans de nombreux pays, le SML, même s’il est bas, empêche l’accession au marché du travail aux personnes qui en sont ou en ont été exclues pour leur "inadaptation" au processus productif ; il faut cependant remarquer qu’en Grande Bretagne, l’instauration du SML n’a pas conduit à une destruction des emplois à bas salaires.

Une position qui a évolué

La position syndicale majoritaire n’est aujourd’hui plus aussi figée qu’autrefois. Elle prend en compte l’évolution due à l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes, qui pose avec force la question du respect de conditions du pays où travaillent les gens (si vous êtes anglais, cela ne vous autorise par à rouler à gauche en Suisse). Et ce constat reflète aussi le fait que, pour finir, les personnes couvertes en Suisse par une CCT sont une minorité (et toutes les CCT ne comprennent pas des salaires minimaux). Les seuls pays d’Europe qui ne connaissent pas le SML sont ceux qui ont un taux de couverture par des CCT supérieur à 70%, alors qu’en Suisse on piétine en dessous des 50% (et encore, toutes les CCT ne contiennent pas des normes salariales).

Bien sûr, on pourrait leur dire qu’il leur suffit de se battre et se syndiquer ! … mais le développement des syndicats a bien de la peine (à quelques exceptions près) à sortir des secteurs traditionnels de recrutement. Le développement de l’économie et du nombre d’emplois se fait principalement dans les secteurs les moins conventionnés et où n’existe que peu de tradition d’organisation syndicale.

La CGAS estime aujourd’hui que ne pas agir pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs, c’est laisser les plus faibles, les plus précaires, les plus exploitables individuellement face à leur employeur.

Enfin, pour être plus d’actualité, face à la déflation qui s’annonce, l’existence d’un SML permettrait d’éviter l’effondrement du pouvoir d’achat par la pression sur les salaires. Cela ne bénéficierait pas seulement aux salarié-e-s, mais également …..au marché !

L’initiative cantonale de SolidaritéS

Malgré la demande pressante de la CGAS, solidaritéS a fait aboutir une initiative populaire cantonale – comme dans d’autres cantons (Vaud,Valais, Tessin) qui prévoit une modification de la Constitution :

L’Etat institue un salaire minimum cantonal, dans tous les domaines d’activité économique, en tenant compte des secteurs économiques ainsi que des salaires fixés dans les conventions collectives, afin que toute personne exerçant une activité salariée puisse disposer d’un salaire lui garantissant des conditions de vie décentes.

L’initiative a le mérite de lancer le débat, mais elle a, du point de vue de la CGAS, plusieurs défauts :

  • elle ne fixe pas le niveau du SML (SolidaritéS parle de 4000.-, mais le texte n’en dit rien !) ;
  • la seule indication sur le montant parle d’un salaire garantissant des conditions de vie décentes. Mais n’est-ce pas plutôt une problématique de revenu minimum ? Il convient de ne pas confondre un salaire (ce qu’un employeur doit payer à un-e salarié-e) avec un revenu qui serait garanti par l’État. De plus, les besoins des personnes ne sont pas tous les mêmes, leurs conditions non plus (ménage commun ou non, avec ou sans enfants, prix du loyer …).
  • elle ne dit pas qui fixera le SML : Conseil d’État ? Grand Conseil ? Chambre des relations collectives de travail ? les partenaires sociaux seront-ils consultés ?
  • elle ne pose pas le principe d’une adaptation du SML, ni sur quelles bases (coût de la vie, indice suisse des salaires …). Le danger est grand que cela soit le fait du prince, comme en France, où l’évolution du SMIC dépend des promesses électorales, de la démagogie des gouvernants … ou d’une grève générale comme en 1968 !
  • son acceptation par le peuple ne garantirait en rien son application. En effet, le changement de la Constitution doit s’accompagner d’une loi d’exécution. On court le risque d’attendre longtemps : voir l’assurance-maternité fédérale !

L’initiative de SolidaritéS a été déclarée recevable par le Conseil d’État qui en préconise pourtant le rejet. L’analyse juridique du Conseil d’État qui pose les conditions de la recevabilité renforce les craintes et les doutes syndicaux vis-à-vis de cette initiative, puisque l’acceptabilité dépend du fait que le salaire ainsi préconisé serait de fait un revenu minimum fixée à un niveau très bas et qu’il ne s’appliquerait pas dans les secteurs où existent des CCT. Ce serait donc un coup d’épée dans l’eau, même si le peuple acceptait ce principe, ce qui reste encore à prouver.

La position de la CGAS

La CGAS n’avait pas soutenu l’initiative de Solidarités (puisqu’on ne le lui avait pas demandé) en pensant que les critiques ci-dessus rendaient cette initiative peu opérante, voire dangereuse sur certains points. La CGAS estime que les syndicats sont les spécialistes des relations de travail, et que la responsabilité de l’édiction d’un SML leur revient.

La CGAS a étudié la question avec attention et s’est en définitive prononcés favorablement pour l’instauration d’un salaire minimum au niveau légal, rompant ainsi avec la "doctrine syndicale" traditionnelle. Pour autant, cette revendication n’abandonne pas celle de rendre plus facile qu’elle ne l’est actuellement l’extension des CCT (même avec l’extension facilitée prévue par les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes).

La CGAS s’est ensuite posé la question de lancer elle-même une initiative complémentaire à celle de SolidaritéS, qui aurait contenu les points suivants :

  • le SML doit s’appliquer à l’ensemble des salarié-e-s du canton, quel que soit leur employeur ;
  • il serait fixé aux deux tiers du salaire médian (une norme utilisée internationalement pour définir les bas salaires), soit à 4233.- selon les chiffres 2006 (notons que les salaires sont toujours convertis dans les statistiques suisses sur une équivalence 40 heures) ;
  • l’adaptation du SML doit avoir lieu chaque année selon l’évolution du salaire médian (rappelons : le salaire médian est le salaire en dessous et en dessus duquel on compte la moitié des salaires) ;
  • c’est la commission tripartite cantonale (CSME) qui édicte le SML ; elle peut prendre également en compte, après négociation entre partenaires sociaux, l’évolution du coût de la vie, des assurances sociales et de la productivité.

Mais un avis de droit demandé par la CGAS a conclu à la presque impossibilité juridique de lancer une telle initiative. Le droit fédéral actuel ne permettrait en effet au niveau cantonal qu’un revenu minimum comme celui qui découle de l’initiative de SolidaritéS.

Dans ces conditions, la CGAS a évidemment renoncé à lancer une initiative, mais s’est tournée au niveau national pour que les centrales syndicales suisses se saisissent de la question et la fassent avancer, car une inscription dans la Constitution helvétique permettrait de contourner tous les obstacles qui subsistent au niveau cantonal et d’avoir un salaire minimum comprenant les critères définis par la CGAS.

Cette démarche va malheureusement prendre beaucoup de temps. Mais le débat suscité par les initiatives cantonales lancées ou abouties dans de nombreux cantons (tous latins, malheureusement, pour l’instant) permettra de faire progresser l’idée.

Genève, le 20 mars 2009