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Genève L’ex-chef de la police guatémaltèque jugé en appel compte de nombreux soutiens parmi les évangéliques. Pour eux, cet homme condamné à la prison à vie en 2014 est un « chrétien persécuté ».
Camille Krafft
camille.krafft@lematindimanche.ch
Persécuté « parce que chrétien », et puni pour avoir voulu offrir aux Guatémaltèques une « société équitable ». Voilà ce que Valérie Kasteler-Budde, coprésidente du Parti évangélique (PEV) du canton de Genève, pense d’Erwin Sperisen, ex-directeur général de la police nationale civile du Guatemala (PNC). Persuadée de l’innocence de celui qui fut brièvement actif au comité, puis simple membre de son parti jusqu’à sa condamnation à la prison à vie l’an dernier, la Genevoise décrit un héros désireux de « nettoyer la société guatémaltèque de la corruption, ce qui n’a pas plu à la mafia ». Après s’être « réfugié » en Suisse en avril 2007 suite à des menaces de mort, selon ses dires, le colosse jugé en appel ces jours à Genève (lire encadré ci-dessous) a donc été auditionné par le PEV et admis au titre officieux de « chrétien persécuté ».
Au Guatemala, le « Viking », qui a désormais troqué sa moustache contre une épaisse barbe rouge, était déjà membre d’une église évangélique, comme une grande partie des élites de ce pays d’Amérique centrale miné par la violence. Selon le quotidien guatémalthèque El Periodico, il a obtenu, peu après sa nomination à la tête de la PNC en été 2004, une émission hebdomadaire intitulée « Valeur et service » sur la chaîne Canal 27, tenue par l’église évangélique « La famille de Dieu ». Devant un million de téléspectateurs, il y présentait durant une heure le travail de la police et répondait aux sollicitations des citoyens à travers une sorte de « prêche policier ».
En 2007, suite à l’assassinat de trois députés salvadoriens par quatre agents (qui seront eux-mêmes éliminés en prison) et la mise en lumière d’une politique de « nettoyage social », Erwin Sperisen tombe en disgrâce, de même que son supérieur hiérarchique, le ministre de l’Intérieur Carlos Vielmann. Le 2 avril, quelques semaines avant son départ pour la Suisse, il aurait fait une dernière apparition à l’antenne, pour déclarer, selon El Periodico : « Nous avons commis des illégalités, mais nous avons fait ce qui était juste. » D’après le New York Times, qui publie un article à la même période, la police nationale et le Ministère de l’intérieur auraient mis sur pied des escadrons de la mort dirigés par un noyau d’officiers évangéliques, qui considéraient leur action comme un « saint travail ». Leur but : éliminer les gangs en se débarrassant physiquement de leurs membres.
Pour Florian Baier, l’un des deux avocats d’Erwin Sperisen à Genève, ces allégations « sans preuves » sont des mensonges. L’homme de loi, qui est également coprésident du PEV genevois, fait partie du réseau évangélique qu’Erwin Sperisen s’est créé après son arrivée en Suisse. Ce dernier s’installe d’abord avec sa famille à Malagnou, chez son père, diplomate à l’Organisation mondiale du commerce. Parce qu’il ne trouve pas de travail, il touche l’aide sociale, grâce au passeport suisse hérité de son grand-père lucernois. C’est au sein du mouvement charismatique, dont les adeptes pratiquent le parler en langues et l’exorcisme, qu’il fait la connaissance de Florian Baier.
Cet homme affable est un fidèle de l’Eglise évangélique de Réveil, un établissement pentecôtiste, comme l’est la Casa de Dios, le centre chrétien latino-américain que fréquente alors Erwin Sperisen. Actif politiquement, Florian Baier incite les fidèles, lors des rassemblements, à « redécouvrir la crainte de Dieu » et, « pour ceux qui ont cet appel », à accepter de « prendre des postes à responsabilité ».
La femme d’Erwin Sperisen, Elizabeth, est, elle, une habituée de l’Eglise évangélique libre des Buis, à Genève, un établissement charismatique où elle a tissé de solides amitiés. L’épouse du pasteur, Christelle Léchot, était présente à ses côtés « en tant qu’amie » durant les deux procès, de même que Joël Décosterd, photographe indépendant et prédicateur à ses heures : « Je sais dans mon coeur qu’Erwin Sperisen est innocent. Il y a une telle haine chez ceux qui le chargent ! Lui, qui est un représentant de l’ordre et de la justice, est considéré comme un criminel, et l’on donne du crédit aux paroles des vrais gangsters, qui étaient dans la prison. C’est le monde à l’envers. » Selon Stéphane, qui faisait patrie du même groupe de prière que l’accusé, « c’est le procès de Jésus. Il fallait qu’il y ait un coupable. Vous vous rendez compte que l’un des principaux « témoins », un des prisonniers, est un homme condamné pour avoir assassiné un couple de Français avec une incroyable cruauté ? »
Ceux qui ont assisté au premier procès décrivent un groupe de soutien composé d’une dizaine de supporters », présents durant les trois semaines d’audience, qui se levaient comme un seul homme lorsque l’accusé faisait son entrée. « Nous avons un réseau WhatsUp d’une centaine de personnes qui suivent l’affaire », précise Christelle Léchot.
En binôme avec son confrère Giorgio Campa, avec qui il « partage une assistance juridique », Florian Baier assure depuis le début de l’affaire la défense d’Erwin Sperisen. Certains observateurs soulignent la curieuse ligne adoptée par le duo, qui consiste notamment à tenter de discréditer tous les autres acteurs de la procédure (procureur, partie civile, présidente du tribunal, ONG) en décrivant des complots à tout va. « On dirait une stratégie de la dernière chance », lâche un avocat qui a suivi les deux procès. D’autres vont plus loin, et y voient une tentative d’inverser les camps du bien et du mal, dans une logique plus théocratique que judiciaire. « Erwin, n’oublie pas qu’avant d’être juste, la justice humaine est humaine », déclarait Giorgio Campa en clôture de procès.
Ironie du sort, Florian Baier, qui dénonce les liens du procureur Yves Bertossa avec TRIAL - l’une des ONG qui ont amené Erwin Sperisen devant la justice - aurait lui même affiché son soutien à cette organisation en publiant en 2010 l’un de ses communiqués sur ... le site du PEV genevois. Un texte retiré depuis parce qu’il n’avait « pas de lien direct avec les activités du parti », selon Valérie Kasteler-Budde. Etant donné qu’il assure désormais la défense d’Erwin Sperisen, Florian Baier ne souhaite pas répondre sur ce point particulier en tant que coprésident du PEV.
Le procès Sperisen, dont le verdict sera, en principe, prononcé mardi, est également très suivi au Guatemala, où des milliers d’internautes « likent » quotidiennement les nouvelles postées sur le profil facebook de l’accusé. Pour certains, le véritable juge d’Erwin Sperisen est Dieu, et Jésus, son avocat. Hier, une manifestation de soutien a eu lieu dans la capitale, et les proches de l’ex-chef de la PNC prédisent des mobilisations devant l’ambassade de Suisse en cas de nouvelle condamnation. Selon Chloé Bitton, responsable de la communication de TRIAL, « les ONG dénonciatrices ont dû faire face à un déchaîmement de commentaires haineux sur les réseaux sociaux tout au long de cette affaire. Nombreux sont les soutiens de Sperisen qui le félicitent pour ses actes dans lesquels ils voient une mission divine. Ces mêmes personnes pensent également que les ONG sont au service du diable et nous menacent des feux de l’enfer ».
Condamné à la prison à vie l’an dernier, Erwin Sperisen est actuellement jugé en appel à Genève. L’ex-directeur général de la Police nationale civile du Guatemala est accusé d’avoir fait assassiner dix détenus, dont sept au cours de la reprise en main du pénitencier de Pavon par les autorités en septembre 2006. Un « crime d’Etat », selon le procureur Yves Bertossa, qui demande une nouvelle fois la prison à vie. D’après l’accusation, les plus hautes autorités ont dressé une liste des détenus influents qui ont été exécutés. La scène de crime aurait ensuite été maquillée. La défense rejette en bloc ces accusations et demande l’acquittement. Pour les avocats Florian Baier et Giorgio Campa, le dossier est « vide et défaillant ». Ils décrivent un homme incorruptible qui s’est engagé pour le bien de la société. Erwin Sperisen, qui s’est exprimé mercredi, affirme s’être senti « condamné avant le procès. » Il a souligné la méconnaissance de la réalité guatémaltèque par le tribunal, et affirmé que son maintien en détention répondait à des intérêts politiques et économiques. Ses avocats ont également tenté à de nombreuses reprises de discréditer les autres acteurs du procès : « Dans une affaire d’une telle complexité, on est en droit d’attendre une impartialité complète de la part des magistrats, selon Florian Baier. Mais nous avons également mis en lumière des éléments de fonds. Notamment le fait que notre client était accompagné en permanence d’un cameraman ainsi que de ses gardes du corps, qui ont confirmé qu’il n’avait tué personne ni même fait usage de son arme le matin des faits ... Afin de démontrer que leur client n’était pas un adepte du nettoyage social, ses défenseurs ont en outre rappelé qu’il avait appuyé la construction d’un musée de l’Holocauste lorsqu’il était conseiller administratif de Guatemala-City.