pour que cesse l’impunité

en matière d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, tortures

ou autres dénis des droits fondamentaux

p.a. CGAS - Rue des Terreaux-du-Temple 6 - 1201 Genève - phone +41 22 731 84 30 fax +41 22 731 87 06

arrestation

Sperisen a fini par tomber : le récit de cinq ans de lutte

Des ONG ont mâché le travail de la justice pour que l’ancien chef de la police du Guatemala soit arrêté à Genève.

samedi 8 septembre 2012

publié par La Tribune de Genève le 07-09-2012

http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/sperisen-fini-tomber-recit-cinq-ans-lutte/story/16774421


Rappel des faits

2004 Erwin Sperisen est nommé chef de la police nationale civile du Guatemala. Il dirige quelque 20 000 policiers. 



2005 Une vingtaine de détenus s’évadent d’une prison. Plusieurs sont capturés. Trois seraient exécutés sur ses ordres. 



2006 La police, l’armée et des gardiens décident de mettre de l’ordre dans une prison. Sept détenus seraient exécutés sur ses ordres. 



2007 Il quitte son poste suite à un scandale et se réfugie à Genève. 



2010 Le Guatemala émet un mandat d’arrêt international à son encontre. 



2012 Le Parquet genevois annonce son arrestation. Il n’est pas sujet à extradition. F.C.


Le vendredi 31 août, en début d’après-midi, Erwin Sperisen est arrêté sur le parking d’un centre commercial genevois. Sous les yeux de son épouse. L’ancien chef de la police du Guatemala – de 2004 à 2007 – est entendu dans la foulée par le premier procureur Yves Bertossa et prévenu de douze assassinats commis en Amérique centrale. En fin de journée, le binational suisse-guatémaltèque, qui conteste les faits reprochés, est conduit à Champ-Dollon. Une première pour cet homme qui vit à Genève depuis cinq ans. Et qui n’a jamais été inquiété par la justice.

« Depuis le temps, il fallait bien qu’il se passe quelque chose », confie Chantal Woodtli, de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS). La syndicaliste attendait cela depuis le 13 juillet 2007. Ce jour-là, dans une plainte pénale de sept pages, la CGAS, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et le syndicat Uniterre accusent Erwin Sperisen d’avoir fait tuer neuf paysans lors de l’évacuation d’une ferme, en août 2004, un mois après son arrivée à la tête de la police nationale civile, forte de 20 000 hommes.

La plainte est déposée à Soleure, lieu d’origine de la famille Sperisen. Mais le procureur général soleurois découvre qu’il réside à Genève et transmet le dossier à son homologue genevois, Daniel Zappelli, en janvier 2008. Qui le confie à l’un de ses substituts. « Je n’ai pas senti un grand intérêt pour ce dossier compliqué, raconte Philip Grant, avocat et directeur de Trial, qui lutte contre l’impunité des responsables des crimes les plus graves. Un jour, ce substitut m’a dit : « On n’est pas un tribunal international. »

En avril 2008, l’avocat apprend que l’affaire risque d’être classée. « Le Parquet n’était pas certain que Sperisen résidait dans notre canton. » Philip Grant mandate un détective privé pour tirer l’histoire au clair. « En vingt-quatre heures, il a pris plusieurs photos de Sperisen devant chez lui, à Genève. »

Les clichés sont transmis au Parquet. Mais rien ne bouge. Au point qu’en novembre 2008, le procureur général soleurois rappelle dans un courrier à Daniel Zappelli que le Canton de Genève est compétent pour traiter l’affaire. Et que le Ministère public de la Confédération partage cet avis.

Alors que l’enquête pénale s’enlise, les organisations dénonciatrices sont notamment en contact avec le Collectif Guatemala, à Paris, et le spécialiste d’Amnesty International sur le Guatemala, à Londres. En février 2009, Trial et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) déposent un complément de plainte, évoquant notamment des assassinats de prisonniers orchestrés par Sperisen.

Ces ONG peuvent s’appuyer sur les travaux du rapporteur des Nations Unies Philip Alston. « De nombreux faits concourent à indiquer que certains actes de nettoyage social – exécution de membres de gangs, de personnes suspectées d’actes criminels et d’autres « indésirables » – sont commis par les forces de police », écrit-il en février 2007.

En juillet 2009, après avoir reçu un nouveau courrier du procureur soleurois lui demandant où en était le dossier, Daniel Zappelli se saisit de l’affaire. Mais Erwin Sperisen n’est pas inquiété. Il vit avec sa femme, ses trois enfants – le dernier a 6 ans – et son père dans le logement de fonction de ce dernier, représentant du Guatemala auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Membre du Parti évangélique genevois, Erwin Sperisen ne travaille pas – personne ne voulant de lui, selon son avocat.

En novembre 2009, Daniel Zappelli transmet le dossier au juge d’instruction Michel-Alexandre Graber. Rien de concret ne se passe jusqu’au 6 août 2010 et le mandat d’arrêt international émis par le Guatemala à l’encontre de Sperisen et de 18 autres personnes, dont l’ancien ministre de l’Intérieur, soupçonnées d’avoir participé à des escadrons de la mort.

Quelques mois plus tard, en avril 2011, le juge Graber entend pour la première fois Erwin Sperisen, en qualité de « personne admise à donner des renseignements ». Puis il envoie une commission rogatoire internationale au procureur du Guatemala.

A la fin de 2011, les autorités guatémaltèques transmettent des éléments incriminant Sperisen. Puis, ce printemps, le directeur de Trial apprend qu’un témoin clé est prêt à témoigner. Il le fait savoir au procureur Yves Bertossa, qui a repris le dossier. Le témoin a été entendu samedi. « Il avait des éléments mettant en cause directement le prévenu », affirme Philip Grant. Qui n’en dit pas plus pour ne pas mettre en danger le témoin.

Lundi, Yves Bertossa a obtenu la détention provisoire du prévenu qui sera incarcéré en tout cas trois mois. « Sperisen faisait partie d’un cénacle de gens pensant que tout est permis. Il s’est trompé », conclut Chantal Woodtli.

Fabiano Citroni

PDF - 2.6 Mo
2012-09-07tdg_arrestation_Sperisen.pdf


Sur le Web