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à l’occasion de la réhabilitation des volontaires suisses

lundi 6 avril 2009 par Claude Reymond

Prononcé en allemand le 29 mars 2009 à Zurich, puis lu en français le 3 avril après la projection du film La Suisse et la guerre d’Espagne (la solidarité) de Daniel Künzi, en présence du réalisateur et d’Eolo Morenzoni à la Maison du Grütli, salle de Fonction cinéma.

Plusieurs auditeurs ont considéré que ce discours était trop « généreux » dans la mesure où il suggère que la « démocratie helvétique » aurait finalement de bon coeur accepté la réhabilitation des combattant-e-s... Ce qui n’a pas vraiment été le cas !

Discours à l’occasion de la réhabilitation des volontaires suisses ayant combattu dans les Brigades internationales durant la guerre civile espagnole

29.3.2009 - Paul Rechsteiner, président de l’Union syndicale suisse

Il aura fallu attendre 70 ans pour assister enfin à la réhabilitation des Suisses et des Suissesses qui ont combattu dans les Brigades internationales en Espagne. Et il y a déjà 35 ans qu’une plaque commémorative a été apposée sur la Maison du peuple de Zurich (et que Richard Dindo a réalisé son film, qui n’a passé à la télévision suisse qu’après avoir subi quelques coups de ciseaux de la censure). IL a donc fallu presque trois générations, avant que justice soit finalement rendue à des hommes et des femmes dont la plupart ne pourront malheureusement plus apprécier ce geste. Nous pouvons être certains qu’ils s’en seraient félicités. Comme ils auraient eu du plaisir à découvrir le « monument sous forme de livre » érigé à leur mémoire par Peter Huber et Ralph Hug, qui est une contribution d’une qualité exceptionnelle pour les faire revivre dans notre souvenir.

Le simple fait que les interventions en faveur d’une réhabilitation ont régulièrement connu l’échec ces 70 dernières années montre à quel point cette question est explosive. Il en allait et il en va à l’évidence de bien plus que du destin des personnes directement concernées et de leurs familles. Si la question est explosive, c’est qu’elle dépasse le niveau individuel et concerne la finalité du combat des volontaires suisses de la guerre d’Espagne, c’est-à-dire le sens du combat des Brigades internationales en faveur de la République espagnole. Dans le même temps se pose la question de savoir ce que ce combat signifie pour la Suisse, et pour la société d’aujourd’hui. Je vais esquisser ici quelques pistes de réflexion.
Une première raison évidente des difficultés à aborder la question des volontaires de la guerre d’Espagne tient assurément au fait que leur réhabilitation met le doigt sur une réalité que la Suisse officielle de l’époque a préféré oublier, et que la Suisse officielle d’aujourd’hui préfère aussi oublier. L’attitude envers ces volontaires suisses oblige en effet à se demander également quelle a été celle de la classe dirigeante de l’époque.

Les brigadistes suisses n’ont pas seulement été poursuivis et condamnés à leur retour avec une rare sévérité ; et cela, aussi en comparaison avec le sort des brigadistes d’autres pays. Même les réunions de solidarité organisées en soutien à la République espagnole ont été interdites à l’époque par la police. Par ailleurs, la politique extérieure menée par le conseiller fédéral Motta coïncidait dans une large mesure avec les intérêts des fascistes espagnols. La presse bourgeoise a adopté d’emblée une position offensive favorable aux généraux rebelles. Le climat politique qui prédominait à l’époque peut être illustré par l’apparentement électoral conclu en 1933, en ville de Zurich, par les radicaux avec les frontistes locaux. Le parti pris de la droite en faveur de la rébellion des généraux espagnols soutenue par Hitler et Mussolini a trouvé son apothéose au moment de la reconnaissance précipitée du nouveau régime du général Franco par le Conseil fédéral, avant même la chute de la République espagnole, ce qui contrevenait à toutes les règles du droit international.
Avec le recul, on peut dire que ce sont les combattants et combattantes de la guerre d’Espagne qui ont été les premiers Suisses et Suissesses à s’opposer aux fascistes les armes à la main. Avant d’autres – et avant les démocraties occidentales -, ils avaient compris le danger mortel que le national-socialisme et le fascisme faisaient courir à la démocratie et à la liberté ; et aussi à la liberté de la démocratie suisse. – Ce n’est certainement pas la neutralité qui a vaincu les nazis et les fascistes. La neutralité a pu être un moyen de survie en une période difficile. Mais les nazis ont été vaincus – et la liberté a été reconquise, y compris la liberté de la Suisse – par les Alliés et par l’Armée rouge.

Comme les Suisses et Suissesses, toujours pas réhabilités, qui ont combattu dans les rangs de la Résistance française et aux côtés des Partisans italiens, les brigadistes étaient des Suisses et des Suissesses qui ont lutté les armes à la main contre Hitler et Mussolini. Il faut aussi ranger parmi eux Maurice Bavaud, l’homme qui a voulu assassiner Hitler, auquel le président de la Confédération a rendu hommage l’automne dernier, 70 ans après son attentat manqué, si on y peut voir là une forme de réhabilitation.

Ainsi que le montre de manière impressionnante le nouveau dictionnaire biographique, les volontaires suisses engagés aux côtés des Républicains espagnols venaient pour la plupart de la classe ouvrière, du mouvement ouvrier. C’étaient des gens simples, qui ont eu le courage de défendre la liberté et la démocratie au péril de leur vie, contrairement à de larges franges des prétendues élites qui ont préféré l’alignement. Cette résistance des gens ordinaires, cette résistance d’en bas témoigne de manière éclatante de la vitalité de la démocratie suisse ; et c’est une résistance qui a dû d’abord s’imposer face aux autorités suisses. L’ouvrage de Peter Huber et Ralph Hug donne un visage à ces individus courageux. Ils ont écrit l’histoire, une autre histoire que celle des conseillers fédéraux d’alors.
C’étaient des travailleurs et des travailleuses, des gens de gauche, des démocrates qui avaient dû assister à l’anéantissement sans tambour ni trompette de l’imposant mouvement ouvrier allemand – et de la démocratie allemande – par les nazis. En Italie, et peu après en Autriche, les choses ne se sont pas passées différemment. La marche triomphale des nazis et des fascistes – avec son effet démoralisateur – n’a été enrayée qu’en Espagne. Et malheureusement pas par les démocraties occidentales, ni avec l’aide des gouvernements des démocraties occidentales. Mais par des gens simples, par de larges couches de la population espagnole, qui, à la surprise des généraux, se sont battus pour la démocratie et pour leur république au péril de leur vie. Ils ont reçu le soutien de plus de 40’000 volontaires venus de plus de 50 pays. Il est significatif qu’au plus un millier de volontaires ont combattu aux côtés de Franco. En revanche, celui-ci a pu compter sur la formidable machine de guerre d’Hitler et de Mussolini. En Espagne, les deux dictateurs ont pu tester concrètement la facilité avec laquelle il leur était possible de violer le droit international sans susciter la moindre réaction des démocraties occidentales. – Les Brigades internationales, les volontaires et les sympathisants et sympathisantes de la République espagnole ont constitué le plus grand mouvement de solidarité de tout le XXe siècle.

La clé de voûte de l’initiative parlementaire pour la réhabilitation des brigadistes suisses, qui a enfin réuni une majorité au Parlement fédéral, est le combat pour la liberté et la démocratie. La loi reprend cette expression mot pour mot. La réhabilitation rend hommage à l’engagement de tous les volontaires qui ont lutté pour la République espagnole, quelles qu’aient été leur provenance, leurs convictions politiques et leur vision du monde, car cette lutte était un combat en faveur de la liberté et de la démocratie. – Les valeurs de liberté et de démocratie sont des idées-forces d’une portée générale. Dans un débat de gauche, nous ne devons pas oublier qu’en 1936, parallèlement au combat pour la République espagnole, débutaient, sous Staline, les premiers grands procès de Moscou. Les valeurs de liberté et de démocratie sont aussi des références dans les débats menés à gauche sur le stalinisme.

La guerre civile espagnole et le vaste mouvement international de solidarité qui s’est créé à cette occasion en faveur des Républicains sont et demeurent une des clés essentielles pour comprendre l’évolution politique du XXe siècle, et cela dans de nombreux domaines. Comme l’a relevé l’historien Eric Hobsbawn, c’est en effet ce conflit qui devait, quelques années seulement après la victoire du franquisme, préfigurer et préparer la constitution des forces capables de venir à bout du national-socialisme et du fascisme. Ce fut la coalition de l’antifascisme, qui a remporté ensuite la bataille décisive pour l’existence même de l’Europe et du monde, et aussi pour l’existence de la Suisse. – La loi fédérale sur la réhabilitation des volontaires qui ont lutté contre le franquisme durant la guerre civile espagnole, que les Chambres fédérales ont maintenant adoptée, se fonde sur ce consensus antifasciste. Cette vision commune est capitale pour la démocratie. La nouvelle loi fédérale en a tiré les conséquences et l’a reconnu expressément et officiellement, ce qui est un pas important pour la démocratie suisse.

Du reste, cette question présente encore bien d’autres aspects. La perspective d’un monde meilleur, plus social et plus juste, était indissolublement liée à ce consensus antifasciste. Cela ne concernait pas seulement la République espagnole, qui symbolise aussi le progrès social dans un pays vivant encore à l’époque sous un régime quasiment féodal. Cela concernait aussi des pays comme les États-Unis, songeons au New Deal, et même un pays comme l’Angleterre de Churchill. Celui-ci, pourtant très conservateur, décida, en pleine Deuxième Guerre mondiale, de créer un État social et d’atteindre le plein-emploi. Le Plan Beveridge date de 1942. Dans notre pays aussi, à la fin de la guerre, les partis bourgeois ont compris que les ravages du national-socialisme et la marche triomphale du fascisme avaient trouvé un terrain favorable dans la misère sociale et la précarité économique engendrées par la grande crise des années 30. La réponse a été la création de l’État social – symbolisée par l’AVS – et l’engagement des pouvoirs publics de mener une politique économique active.

Ces leçons de l’histoire sont d’une grande actualité, même si les conditions ont changé ; je n’ai pas besoin d’insister sur ce point aujourd’hui alors que la crise économique mondiale menace d’atteindre une ampleur sans précédent. En ce sens-là, l’antifascisme fait aussi partie du socle de l’évolution démocratique de la société. Et pour la gauche, la perspective de la justice sociale est de toute façon la raison d’être et la condition même de son existence.

Les questions du passé ont ainsi un lien, et un lien fort dans le cas des brigadistes suisses, avec les problèmes du présent et avec la façon de nous situer dans l’avenir. Les représentants de l’UDC, qui ont combattu la réhabilitation, savaient manifestement pourquoi ils agissaient ainsi. Parce que les points de repère que l’on se choisit dans l’histoire ne sont pas indifférents, surtout dans un pays comme la Suisse, dont l’identité ne peut être justifiée que par l’histoire.

Les volontaires qui ont lutté contre le franquisme sont l’exemple d’un comportement courageux à une époque difficile. Leur combat a été prémonitoire. Ils doivent l’avoir senti.



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