Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Déclassement de zone agricole pour l’habitat des pôles urbains : affrontons la réalité !

lundi 19 mai 2008 par Jan DORET

Les articles qui ont relaté la conférence de presse de la CGAS du 24 avril lui ont valu des réactions positives ou négatives, dont celle d’Uniterre. Nous y soutenions en effet le principe de déclasser 4% de la zone agricole du canton de Genève en faveur de l’habitat. Nous estimons nécessaire d’expliquer à nos amis d’Uniterre sur quelles réalités et quelles réflexions se fonde notre position.

Il ressort d’une étude sur les réserves en terrains constructibles des villes suisses qu’a réalisée R. Schaffert*, que Zurich et surtout Genève et Bâle n’en ont quasiment plus, alors que Fribourg, entre autres, en dispose largement pour quelques décennies.

Transposée à Fribourg, l’idée d’un déclassement de zone agricole serait absurde. Mais s’agissant de Genève, que faire d’autre ? Déclasser uniquement en zones villas pour réaliser des immeubles ?

Cette option - véritable consensus politique de ces vingt dernières années - reste de fait le principal mode opératoire pour le logement collectif ; mais il est totalement assujetti à la volonté des propriétaires de villa de vendre, et quand. La quasi totalité des promoteurs privés et des fondations de droit public s’emploient à y réaliser ce qui est possible, soit 15 logements par-ci, 25 par-là, etc., au terme de processus fort longs. Les réalisations qui en sont issues sont largement insuffisantes pour répondre à la crise du logement. Souhaitant accroître l’offre, Le Conseiller d’Etat Mark Muller y a porté le prix minimum du terrain à 1’000 francs le mètre carré et fixé à leur valeur « à neuf » les rachats de villas vouées à la démolition ; l’effet escompté n’est pas au rendez-vous.

La force d’attraction qu’exerce tout pôle urbain résulte de ce qu’il offre en matière de travail, de culture et de tissus de relations sociales et professionnelles, en drainant les pressions de la croissance démographique et des migrations.

Le canton de Genève, dont la ville est la plus dense de Suisse, compte trente années de politique d’aménagement restrictive fondée sur la défense de sa campagne. Une forme de résistance interne à son propre pouvoir d’attraction, lequel passe largement outre cette frontière franco-suisse qui ceint notre environnement verdoyant. Mais pour quel résultat de l’autre côté des bornes ?

Les populations et activités attirées se sont implantées juste au-delà des frontières, hors de portée du champ d’application territorial de cette politique. Le canton ayant 145 kilomètres de frontière commune avec la France pour 8 kilomètres avec la Suisse, on découvre aujourd’hui un bâti quasi continu, en couronne, traversant toutes les communes françaises adjacentes de l’Ain et de la Haute-Savoie.

Toujours est-il que nos voisins français construisent davantage de logements autour de Genève qu’il ne s’en bâtit dedans. Ainsi, 25% des personnes qui bossent dans notre canton logent en dehors ; un grave déséquilibre qui s’accentuant et qui démultiplie les longs trajets entre domiciles et places de travail.

La belle campagne genevoise s’en trouve hachée par des voies radiales portant un trafic routier toujours plus dense.

Alors quid des transports publics pour contre-balancer l’usage des voitures ?

Vivement le CEVA, certes, mais la configuration très particulière de cette occupation du territoire sans conception concertée rend plus difficile qu’ailleurs l’établissement d’un réseau de transports publics comme alternative efficace. Trente ans de protection de la campagne genevoise ont favorisé un encerclement bâti distant et distendu : on imagine le nombre de halte à créer « en éventail », dans cette couronne étirée, où chacune ne drainerait qu’une population limitée (hormis celle des pôles secondaires d’Annemasse de Saint-Julien, de Gex ou Ferney-Voltaire).

Car les communes de France voisine pâtissent aujourd’hui d’aménagements bricolés hier, selon des logiques qui ont moins relevé d’une clairvoyance urbanistique commune que d’opportunismes fiscaux immédiats, de visions locales, disparates et concurrentielles. Leur coordination s’est mise en place, mais tard.

C’est par simple réalisme que nous considérons que la protection jalouse de notre campagne a contribué à ce mal-développement, dont la croissance s’est nourrie de nombreuses emprises sur d’excellentes terres agricoles françaises…

Le protectionnisme de tout pôle peut aussi engendrer une occupation dispersée du territoire, avec une « consommation » exorbitante et diffuse du sol. Un pôle, cela s’assume. Selon les points de vue, c’est le meilleur ou le moins pire, ce qui revient strictement au même en matière d’aménagement.

Demander maintenant le déclassement de 4% de la zone agricole genevoise, c’est ce « meilleur » ou ce « moins pire ». Pour son développement qui se fera de toute manière, c’est éviter à toute la région que ne s’aggravent ent davantage ses problèmes en occupant plus de territoire, en réclamant davantage d’énergies et provoquant davantage de nuisances. Notre développement durable impose ce choix.

Le non-développement d’un pôle ne se décrète pas. Il est d’ailleurs juridiquement et éthiquement impossible de le faire. Refuser à tout nouvel habitant le droit à la ville que soutenait Henri Lefèvre ? C’est une invitation au refus de l’autre, alors que la xénophobie est déjà bien assez présente. Imposer la limitation des naissances ? Brrr !

Le déclassement d’un peu de zone agricole figure dans nombre d’actes officiels : le protocole d’accord sur le logement du 1er décembre 2006, la loi qui s’en est suivie (plébiscitée par le Grand-Conseil en juillet 2007), le site internet du département de M. Robert Cramer et le site du projet d’agglomération franco-valdo-genevoise qu’il a patronné.

La CGAS ne fait que réclamer à l’Etat qu’il joigne enfin le geste à la parole. Mais tout se passe comme si M. Cramer, censé préparer de tels déclassements, « jouait la montre » en attendant qu’aboutisse l’initiative fédérale visant à interdire en Suisse, par un moratoire de 20 ans, tout nouveau classement en zone constructible.

Nos amis d’Uniterre soutiennent sans doute cette initiative. Si son objectif ne pose guère de problèmes dans les régions qui ont ces zones en suffisance mais dépourvues de constructions, ce n’est pas le cas partout, comme on l’a vu. Est-il raisonnable de vouloir imposer une pensée unique à des situations très diverses ?

On nous rétorquera que cette initiative prévoit, justement pour tenir compte des particularismes, la possibilité d’opérer des trocs entre cantons, l’un radiant chez lui une superficie constructible pour céder à un autre un droit d’égale surface. Voilà qui est bien virtuel ! D’abord, droit donné ou droit vendu ?

Ensuite, les cantons nécessiteux, dont Genève, ont-ils la moindre garantie que les Grand-Conseils des cantons acceptent d’être cédants ? Et qui peut affirmer qu’un canton cédant ne se trouvera pas confronté, à l’expiration du moratoire, à des besoins en périmètres constructibles ? Il pourra reclasser comme tels ceux dont il avait cédé les droits …et le moratoire se sera avéré parfaitement inutile.

Jan Doret

* Raymond Schaffert, ancien directeur de l’aménagement du canton, est délégué du SSP-VPOD au comité du Rassemblement pour une politique sociale du logement et membre de la commission « aménagement et logement » de la CGAS.