Communauté genevoise d’action syndicale

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PF17, des cadeaux aux nantis pour consolider l’AVS ?

vendredi 8 juin 2018

PAOLO GILARDI . MILITANT SSP . RÉGION GENÈVE

Christian Levrat, le président du parti socialiste, pavoise ! D’avoir soutenu en septembre dernier l’élévation de l’âge de l’AVS des femmes ne l’empêche pas de claironner que « la hausse de la retraite des femmes à 65 ans c’est liquidé ! » .

Grâce à qui ? À un sextet de sénateurs – dont fait partie Christian Levrat – qui ont trouvé un deal. En échange de l’acceptation du PF17 par le PS et les syndicats, la droite renoncerait à élever l’âge de la retraite des femmes. Vraiment ?

Concrètement, le compromis prévoit que, pour chaque franc perdu par les finances publiques en raison de la baisse de la fiscalité des entreprises, un franc serait versé pour l’AVS.

LE DOUTE EST DE MISE. En tout, un peu plus de deux milliards de francs seraient versés à l’AVS. Un cadeau fiscal gigantesque aux actionnaires serait ainsi financé non pas par ceux qui profiteraient des largesses fiscales, mais par l’augmentation des prélèvements obligatoires sur les salaires, par la TVA et les impôts !

Ayant ainsi consolidé l’AVS, la droite ne s’attaquerait plus à l’âge de la retraite des femmes. On peut en douter. Même s’il acculé par les menaces de sanction de l’OCDE – qui maintient la Suisse sur liste grise tant que les faveurs fiscales aux entreprises à statut ne sont pas abolies –, le patronat est peu enclin à abandonner son cheval de bataille, l’élévation de l’âge de la retraite des femmes.

Ainsi, ce n’est pas seulement Alain Berset qui ne cesse de parler de son « inévitable élévation ». Dans la presse dominicale, une autre ministre, Mme Doris Leuthard, explique que « le Deal du Conseil des Etats ne change rien (…) l’élévation à 65 ans sera une des mesures proposées par le Conseil fédéral » .

L’UNION PATRONALE VEUT PLUS. Plus exigeante, l’Union patronale suisse s’empresse de préciser qu’elle ne pourra accepter le « compromis » « qu’en échange d’un relèvement d’une année, à 65/66 ans, de l’âge de la retraite des femmes et des hommes » !

Certes, le risque de voir l’UBS et le Crédit suisse ne pas avoir plein accès aux licences d’exercer en Europe en cas de maintien de la Suisse sur liste grise rend la disponibilité aux compromis « impérative » . « Impérative » peut-être, mais jusqu’où ?

UN CALENDRIER DISCORDANT. Dès lors, un choix d’opportunité pourrait se faire, sans engagements, pourvu qu’il évite le référendum – référendum que Christian Levrat s’est vanté, en février déjà, de pouvoir l’empêcher.

Une majorité pourrait, par exemple, faire inscrire dans le PF17 l’obligation de compenser chaque franc perdu par les collectivités publiques par un versement équivalent à l’AVS. Si le calendrier est respecté, son adoption par le parlement devrait avoir lieu fin octobre, soit deux petits mois avant l’ouverture de la discussion sur le projet AVS21.

Il y a fort à parier que la droite s’arrangera pour que le passage à 65 ans se fasse après les élections fédérales d’octobre 2019, histoire de ne pas devoir en payer le prix électoral…

Rien n’empêcherait alors le Parlement de voter l’élévation de l’âge de la retraite des femmes, puisqu’il pourra arguer du fait que, malgré l’apport de 2 milliards, la situation de l’AVS ne serait toujours pas consolidée et que donc, ma foi on aurait bien voulu faire autrement mais…

Un coup de maître puisque, voté par des gens à qui on aura dit qu’il s’agissait d’empêcher l’augmentation de l’âge de la retraite, le cadeau fiscal subsisterait – et ceci… sans contrepartie aucune.

LE BÉNÉFICE, C’EST DU TRAVAIL. Que la Suisse doive abolir les régimes spéciaux, c’est une évidence. Ce n’est pour autant pas une raison pour procéder à une baisse généralisée de l’imposition des profits réalisés par les sociétés qui ne bénéficient pas de statuts particuliers.

En effet, l’imposition des bénéfices n’est pas, contrairement à la rhétorique patronale, une forme « d’acharnement contre les riches ». Elle constitue une forme – toute relative – de redistribution des richesses, celles qui sont produites par le travail humain et que s’approprient les propriétaires de capitaux.

À travers l’imposition des bénéfices, la société toute entière se réapproprie d’une partie de cette richesse et la redistribue sous la forme de services et prestations publiques. Dès lors, réduire la part de ces richesses soumise à l’impôt participe directement du transfert accéléré d’une part toujours plus importante de la richesse produite vers les riches.

Aucune promesse – d’autant plus que les promesses n’engagent que ceux qui y croient – ne saurait légitimer l’accentuation du transfert des richesses vers les portefeuilles d’une poignée d’actionnaires.

POUR CONSOLIDER L’AVS… L’ÉGALITÉ SALARIALE. Quant à la consolidation de l’AVS, c’est par la réalisation de l’égalité salariale entre hommes et femmes qu’elle peut se faire – l’augmentation des salaires des femmes se traduisant par des rentrées supplémentaires pour l’AVS –, pas par des cadeaux aux nantis !

PF 17 STIMULE LA CONCURRENCE INTERCANTONALE

Un pseudo-réalisme tactique est depuis peu invoqué pour accepter le deal du Conseil des Etats. En gros, expliquent les chefs de l’Union syndicale suisse (lire ci-contre), la loi fédérale n’est pas si mauvaise puisqu’elle n’occasionnerait pas de pertes majeures pour les finances publiques fédérales. Ce sont donc les lois cantonales qu’il faudra combattre…

Or, c’est justement la loi fédérale qui permet aux cantons d’accorder des rabais d’impôt faramineux. Grâce aux dispositions du PF17, ils peuvent se saisir des outils fiscaux (Patent box, déductions pour recherche et développement, intérêts notionnels, NID) que le peuple avait refusés lors du vote sur la RIE III fédérale en février de l’année passée, pour réduire massivement l’imposition des bénéfices.

PF17 fédéral autorise en effet – et, pour la patent box, oblige – les cantons à mettre en œuvre ces outils fiscaux, y compris – pour le canton de Zurich – la fameuse déduction pour intérêts notionnels, la NID, en fixant à 70% le montant total des allégements autorisés.

En parallèle, la Confédération augmente la part de l’IFD versée aux cantons afin de permettre à ces derniers de baisser drastiquement leurs taux d’imposition sur les bénéfices ! De quoi pour déclencher une concurrence fiscale aux conséquences ravageuses.

Ainsi, par exemple, à Genève, malgré un taux d’imposition de 13,49%, en vertu des allègements qu’autorise le PF17, pour 100 francs de bénéfices déclarés, les sociétés ne paieraient plus que 9,60 francs. Comparée aux 24,20 francs payés aujourd’hui, la taxation des bénéfices serait réduite de plus de 60% ! Mieux que les soldes…

Les pertes seraient énormes pour les collectivités publiques, ainsi mises dans l’impossibilité de garantir le fonctionnement de leurs services et les prestations à la population. Comme dans le canton de Lucerne où, suite à de fortes baisses d’impôts censés amener de nouvelles entreprises dans le canton, on a même fermé les écoles une semaine supplémentaire, faute de financements suffisants… PG

PS:

1) Tribune de Genève, 26-27 mai.
2) NZZ am Sonntag, 27 mai.
3) NZZ, 12 janvier 2018.
4) NZZ, 8 février 2018.