Communauté genevoise d’action syndicale

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L’occasion manquée d’une vraie réforme

jeudi 24 août 2017

publié par Le Courrier du 23 août 2017

Prévoyance 2020

Pour Grégoire Gonin*, le projet de réforme de la prévoyance vieillesse, soumis aux urnes le 24 septembre prochain, relève d’une vision politique timorée et d’un autre âge.

Et si la question des retraites, qualifiée de cruciale et de solution d’avenir, manquait fondamentalement son objectif en soumettant au corps électoral une vision dépassée sinon rétrograde ? Fruit d’un consensus, le plan d’Alain Berset ne présenterait-il pas les caractéristiques de ce que François Masnata et Claire Rubattel désignaient comme « idéologie du non-choix » dans Le pouvoir suisse en 1979 ? En restreignant le pensable, la votation limite les possibles et l’émergence d’une solution réellement visionnaire.

L’honnêteté intellectuelle minimale oblige à considérer la centralité des caisses de pensions tel un produit daté voire périmé des Trente Glorieuses-Pollueuses « croissancistes ». Arrimé à la Bourse, le 2e pilier montre depuis une dizaine d’années toutes ses limites conceptuelles, dont témoignent non seulement la baisse progressive du taux de conversion, de 7,2 à 6,8 ou 6% (en attendant la suite), mais surtout la chute autrement abyssale (de plus de 4% à 1% actuel) et trop occultée du taux d’intérêt minimum, synonyme de la bonne volonté des assureurs d’amener leur pierre à l’édifice, au lieu désormais de saboter la confiance populaire pour la rediriger vers le 3e pilier, source de profits plus substantiels. En septembre 2003, The Economist publiait une caricature à métaphore religieuse figurant sur fond de ciel d’Apocalypse trois colonnes ioniques : écroulement des retraites étatiques, lézardes prononcées des caisses d’entreprises et Salut-repli individuel vers un 3e pilier intact mais réservé à une minorité dépourvue de tout sens de la solidarité. Un motif illustré la même année par Burki croquant en picidé Pascal Couchepin sapant le 2e pilier de la prévoyance helvétique.

L’orchestration systématique d’un catastrophisme autour d’un gouffre financier de l’AVS imminent constitue l’un des récits fondateurs les plus répandus de l’histoire de la Suisse contemporaine, dénoncé voilà près de trente ans déjà par Pierre Gilliand et Pascal Mahon. En France, Julien Duval a exposé dans Le mythe du « trou de la Sécu » la thèse selon laquelle la Sécurité sociale souffrait moins d’un excès de dépenses que d’un sous-financement chronique.

En considérant les modifications démographiques à venir, comment expliquer la persistance d’un angle mort ou d’un impensé politique consistant à relever légèrement le taux de cotisation du 1er pilier, inchangé aux 4,2% paritaires depuis 1975 ? Dans le même ordre d’idées alternatives, serait-il à ce point choquant de percevoir une taxe de 1% sur les dividendes du SMI versés annuellement aux actionnaires, soit près de 40 milliards de francs ?

Quant à la retraite flexible, elle tombe sous le sens, à deux conditions près. D’une part, pénaliser le licenciement des seniors et unifier le taux de cotisation selon l’âge ; d’autre part, que le Conseil fédéral dispose ou érige enfin par lui-même des tables de mortalité établissant la pénibilité respective des salariés par métier, afin d’instituer une cessation d’activité graduée en fonction d’une inégalité sociale devant la mort, intolérable en 2017. Il n’y aurait rien de plus équitable et de moins choquant à ce qu’un enseignant travaille jusqu’à 70 ans ou plus, et qu’un préposé au goudronnage des routes puisse se retirer du monde professionnel à 55 ans ou moins. Pour rappel (y compris à la gauche), en 1947, l’âge de l’obtention des rentes correspondait peu ou prou à l’espérance de vie moyenne d’alors.

Dénoncée tous azimuts, la guerre aux femmes, qui occupent 73 des 246 sièges sous la Coupole (pas même 30% !) constitue un autre sujet d’étonnement sidérant. Les Chambres jugeraient-elles « acceptable » un compromis pénalisant les mâles à hauteur de plus de 1 milliard de francs ?

L’heure d’une fusion des deux piliers n’a pas encore sonné qui laisserait aux actuaires calculer le taux de cotisation nécessaire (10-15% ?) à des rentes comprises dans une fourchette de 1 à 2 (3500 à 7000 francs) octroyant à chacun la dignité dans l’équité économique et sociale, et à satisfaire ainsi le minimum vital promis et prescrit de longue date par la Constitution. En effet, en admettant à la limite que la valeur ajoutée sociétale d’une chirurgienne en activité supplante celle d’un manutentionnaire et des « petits métiers » de l’économie et justifie un fossé salarial, celle-ci devient en effet caduque sitôt atteint l’âge de la retraite. A regret perçoit-on au final « Prévoyance 2020 » comme le reflet d’une vision – sinon d’une cécité – politique timorée à rebours d’un projet en phase avec son temps.

PS:

* Historien et enseignant, Lausanne.