Communauté genevoise d’action syndicale

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« La loi s’inscrit dans une régression des droits démocratiques »

mardi 3 mars 2015 par Claude REYMOND

GENÈVE – La bataille fait rage autour de la nouvelle Loi sur la police (LPol). Le SSP appelle à la rejeter. Les explications de Marco Spagnoli, président du SSP – Région Genève.

Pourquoi les syndicats prennent-ils position sur une Loi régissant
la police à Genève ?

Marco Spagnoli – Pour plusieurs raisons, car cette loi affecte les relations de travail et le partenariat social de dif- férentes manières. Directement, car elle institue une commission du per- sonnel dont la fonction est de contour- ner les syndicats légitimes et reconnus. Le partenariat social s’en trouverait vidé de sa substance au profit d’une instance plus ou moins cooptée. Cela est contraire à la politique que les syn- dicats défendent partout ailleurs dans le secteur public. Dans les faits, il s’agit pour le magistrat en charge du Département de la sécurité d’affaiblir par tous les moyens les syndicats de police, qui disposent d’un prestige et d’une tradition combative qui lui posent problème. Deuxièmement, cette loi ne règle pas le problème du statut des assistants de sécurité publique (ASP), dont les revendica- tions n’ont toujours pas été entendues malgré leur mobilisation dans des conditions difficiles. Cette catégorie de personnel, qui n’est pas reconnue en tant que personnel policier, est repré- sentée par le SSP. Derrière cette ambi- guïté repose bien évidemment la volonté d’établir – ou de maintenir – une hiérarchie entre différentes caté- gories du personnel, qui correspond à une hiérarchisation des tâches de sécu- rité, avec des tâches principales et des tâches « auxiliaires ». Troisièmement, toute cette démarche sert l’objectif stratégique de consolider un corps de police dont le statut, la mission et les règles de fonctionnement se distingue- raient clairement des autres activités publiques, en renforçant la frontière entre missions régaliennes (police, justice) et fonctions de prestations (éducation, santé, social, etc.). L’éclatement des services publics est bien entendu la perspective, ou du moins la menace, que cette loi porte en elle. La privatisation de certaines tâches de sécurité est clairement visée. Il y a bien entendu des compensations aux visées tactiques (gagner une majo- rité politique), comme l’augmentation des effectifs (actuellement plafonnés) ou des promotions au mérite, mais cela ne doit pas nous détourner de l’essen- tiel : la nouvelle loi veut mettre le per- sonnel de police à l’abri de l’influence que peuvent exercer les syndicats et les éloigner des autres catégories de per- sonnel de l’Etat.

" L’ECLATEMENT DES SERVICES PUBLICS EN PERSPECTIVE "

Ses opposants à gauche dénoncent une loi liberticide. Pourquoi ?

La loi s’inscrit dans la régression des droits démocratiques que nous subissons à Genève depuis quelques années, avec notamment la remise en cause partielle du droit de manifester, qui est soumis à toutes sortes de res- trictions plus ou moins avouables. Il s’agit de voir, sur ce plan également, quelle conception de la sécurité publique on veut mettre en œuvre, et dans quelle mesure on s’éloigne d’une « police républicaine » (pas au sens des CRS !) ou « citoyenne », au service de la société et non asservie à une élite de pouvoir. Mais cette réflexion dépasse le cadre stricte- ment syndical. De notre côté nous pensons que la défense intransi- geante des droits du personnel, des droits syndicaux et la cohérence sta- tutaire de toutes les catégories du personnel de l’Etat est la meilleure garantie pour empêcher toute dérive autoritaire et pour endiguer toute régression démocratique.

Autre point de débat : la liberté syndicale est-elle remise en cause ?

Les syndicats de police ont consti- tué, au cours des dernières années à Genève, une force de résistance extrêmement efficace aux tentatives de remise en cause des conditions de travail spécifiques au personnel de police mais aussi communes à l’en- semble des services publics. Ils ont été le plus souvent à nos côtés dans quantité de batailles décisives, en apportant souvent une touche singu- lière dans les modes d’action, qui ont suscité parfois la polémique. Cette loi vise clairement à les brider. La tolé- rance zéro est déjà appliquée avec rigueur sous le régime actuel (inter- diction de l’utilisation de l’uniforme dans le cadre de manifestations, interdiction de la grève du zèle, service minimum imposé, etc.). Mais la nouvelle loi vise à restreindre encore davantage la marge de manœuvre du personnel (grève de l’uniforme, par exemple). Avec un service minimum imposé dont la norme est supérieure à la dotation ordinaire, l’interdiction de toute autre forme d’action revient de fait à priver le personnel de tout moyen d’action syndicale véritable. C’est en parfaite cohérence avec l’institution d’une commission du personnel ad hoc dont la vocation se limiterait forcé- ment à la consultation, en lieu et place de la négociation et du rapport de forces qui en est le garant.

Une bataille oppose depuis plusieurs mois les Assistants de Sécurité Publique (ASP) au conseiller d’Etat Pierre Maudet. Quels en sont les enjeux ?

L’enjeu premier consiste à intro- duire une différenciation dans les tâches et les catégories du person- nel affecté à la sécurité, dont cer- taines (comme les ASP) seraient clairement de niveau inférieur. Ce personnel demande avant tout de la reconnaissance. A l’inverse, il s’agit d’assurer ou de renforcer certains privilèges réservés au personnel policier de premier niveau, avec le prestige qui doit l’accompagner. Ces différenciations fraient le chemin à une extension de la sous- traitance, avec des visées d’écono- mies massives qui permettront de financer le renforcement des effec- tifs de « l’élite », dont le déplafonne- ment serait acquis. Ce sont bien entendu des hypothèses. Mais la nouvelle loi ouvre les portes à de telles perspectives. Connaissant les intentions politiques et les intérêts économiques défendus par leurs promoteurs, le pire est à craindre.

PROPOS RECUEILLIS PAR SERVICES PUBLICS

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