Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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lettre aux Six président(e)s de parti s’engageant pour la nouvelle Constitution

samedi 13 octobre 2012

les parties en italique ont fait l’objet d’un article de lecteur proposé le 9.10.2012 à la Tribune de Genève et au Courrier, qui n’ont pas trouvé d’espace pour le publier


soit
pour le PDC Béatrice HIRSCH
pour le PLR Alain-Dominique MAURIS [1]
pour le parti Pirate Alexis ROUSSEL
pour le PS Romain de SAINTE MARIE
pour les Verts Nicolas WALDER
pour les Verts Libéraux Laurent SEYDOUX

curieuse manière d’appréhender les défis de la Genève du XXIe siècle

Madame, Messieurs,

Ayant pris connaissance de votre Déclaration commune du 20 septembre 2012, je souhaite vous faire part de quelques considérations.

La première Constitution genevoise de 1847 était UNE ANNONCIATRICE des temps démocratiques dans un pays où prédominait le suffrage censitaire, encore gouverné par une Diète qui ne reconnaissait ni la liberté de la presse, ni la liberté de religion, ni le droit d’établissement ; Constitution rédigée avant que n’éclate en France la Révolution du printemps 1848, quelques mois avant la publication par Marx et Engels du Manifeste du Parti communiste…

Cette Constitution genevoise, bien qu’amendée plus de 160 fois jusqu’à ce jour, n’a toujours pas satisfait les revendications des salarié-e-s et de leurs organisations ; son nouveau projet 2012 n’est pas meilleur.

Armand Audiganne (bourgeois « éclairé », chargé de l’ordre industriel au ministère du Commerce et de l’organisation du travail) s’était exprimé de la manière suivante - devant l’Assemblée Nationale française qui allait créer la Deuxième République - à l’égard de certaines caractéristiques des conditions d’exploitation de la force de travail européenne :

« On dit souvent avec raison que le régime intérieur des manufactures formait un gouvernement tout à fait absolu… Si la propriété a droit au respect, la société qui la consacre et la garantit peut lui imposer toutes les conditions dictées par l’intérêt général… C’est bien assez de l’insalubrité inévitable des certains travaux, sans y ajouter encore volontairement celle du local. Qu’on ne dise pas : l’ouvrier est libre ; il peut s’abstenir d’entrer dans un atelier malsain. En réalité une nécessité rigoureuse enveloppe trop souvent sa vie…

Audiganne préconisait ainsi d’adopter « un élément nouveau dont l’influence serait considérable : c’est le droit de former des réunions, des associations, afin de s’entendre sur leurs intérêts, droit qu’on ne saurait contester aux travailleurs, sous réserve de certaines mesures d’ordre tracées par la loi. … Dans l’isolement d’où nait sa faiblesse, l’ouvrier est exposé à des exigences excessives. Rien ne lui assure une rétribution proportionnée à ses efforts ; rien ne le garantit contre la diminution croissante de son salaire. … Si l’individu n’a pas en lui une force assez efficace de résistance, la loi doit lui prêter la sienne. »

A Genève, en cet automne 2012, les partis bourgeois ne nous disent rien à propos des contenus de la nouvelle Constitution qui concernent le monde du travail ; Les Verts s’abstiennent tout en saluant l’avènement de « l’écologie industrielle ».

Heureusement, le parti socialiste explique que « l’Etat devra a) mener une politique active visant le plein emploi… La liberté syndicale est étendue, notamment b) via le droit d’accès à l’information syndicale sur les lieux de travail et c) la protection des lanceurs d’alerte... Le droit de grève d) est mieux protégé : les motifs pour (le) restreindre sont encadrés plus strictement… »

Son argumentaire est illustré par des dessins qui symboliseraient la situation présente et celle promise.

Le typographe et responsable syndical que je fus, comme le syndicaliste que je suis encore, considère toutefois qu’il s’agit-là de caricatures et d’un effet d’annonce (moyen pour tromper l’adversaire).

La liberté d’association est déjà constitutionnelle, bien que celle-ci fut effectivement suspendue pendant la Deuxième Guerre mondiale avec l’interdiction du parti communiste suisse ; ce qui eut pour conséquence la désagrégation de certains organes de conduite des syndicats. Cette interdiction avait été d’ailleurs soutenue par le parti socialiste, et le dessin qu’il utilise dans son argumentaire 2012 me laisse songeur…

D’autant plus caricature, qu’à ce jour dans notre canton, le mouvement syndical et les associations de personnel comptent probablement plus 60’000 affilié-e-s.

MAIS plus fondamentalement

Je constate que la nouvelle Constitution :

a) n’imposera pas « toutes les conditions dictées par l’intérêt général » pour mettre un terme à la tyrannie légale sévissant dans les entreprises, et contraindre celles-ci à tendre au bien commun, en faveur d’une politique économique créatrice d’emplois productifs et socialement utiles. Elle préconise simplement « L’Etat agit en complément de l’initiative privée et de la responsabilité individuelle » ;

b) ne précise pas les conditions dans lesquelles les travailleurs pourront se réunir pendant et sur les lieux de travail pour s’approprier ou critiquer l’information syndicale, pour s’entendre sur leurs intérêts particuliers dans la relation contractuelle collective qu’ils ont avec l’employeur. La démocratie dans les entreprises ne se trouve nullement renforcée ;

c) bien qu’elle prescrive que « toute personne qui, de bonne foi et pour la sauvegarde de l’intérêt général, révèle à l’organe compétent des comportements illégaux constatés de manière licite bénéficie d’une protection adéquate », elle n’interdit pas le licenciement et dénie toujours aux élu-e-s des travailleurs l’immunité qu’elle octroie pourtant à celles et ceux élus par le peuple ;

d) préconise que « La loi peut interdire le recours à la grève à certaines catégories de personnes ou limiter son emploi afin d’assurer un service minimum ». Cela sans distinguer les travailleurs, ceux affectés aux services essentiels, ceux de la fonction publique en général, ceux des entreprises « privées ». Pourtant l’Organisation Internationale du Travail ne retient une possible limitation que pour les premiers, tout en précisant que les dispositions … établies pour chaque catégorie de fonctionnaires enfreignent le droit de ceux-là de s’organiser [2] !

Ainsi donc les facultés des agents de production - principal moteur de transformation de notre société – ne sont guère soutenues, et je peine à voir dans le texte soumis au vote populaire ce qui pourra vraiment assurer un meilleur devenir.

Cela étant, vous comprendrez que je ne partage pas votre conviction que « la nouvelle constitution répond(e) globalement et de manière équilibrée aux défis de la Genève du XXIe siècle », d’autant plus que son détail continuera d’entraver l’action de celles et ceux qui s’engagent – y compris dans notre République – pour plus de justice sociale.

Genève, le 1er octobre 2012

Claude André REYMOND, citoyen genevois et syndicaliste

[1Alain-Dominique MAURIS en a aimablement accusé réception le 8 octobre

[2Guide pratique pour le renforcement du dialogue social dans la réforme des services publics 2005



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