Communauté genevoise d’action syndicale

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appel féministe relatif à la présidentielle française

jeudi 3 mai 2012 par Claude REYMOND

de Elsa.dorlin@univ-paris1.fr

Nous, féministes

Nous citoyennes et indigènes, immigrées et autochtones, bourgeoises et prolétaires, travailleuses et chômeuses, nationales ou naturalisées, européennes ou étrangères : filles, mères, ménopausées, avortées ou hormonées, Noires, blanches, tsiganes, arabes, musulmanes, juives ou chrétiennes, croyantes, mécréantes, voilées, dévoilées, revoilées, sexy, moches, straight, trans, gouines, queer, morales, immorales, amorales, victimes, épargnées ou enragées, …

Nous, féministes, filles d’Olympe de Gouges, la demi-mondaine guillotinée pour avoir déclaré nos droits, de Solitude, mulâtresse guillotinée à Pointe à Pitre pour s’être élevée contre le rétablissement de l’esclavage, de Mary Wollstonecraft et de sa philosophie authentiquement universaliste, de l’esclave Sojourner Truth, combattante pour la liberté de toutes les femmes quelle que soit leur couleur, de Flora Tristan qui défendait "la nécessité de faire bon accueil aux femmes étrangères", de Fatma N’Soumer combattante kabyle qui prit les armes contre l’armée française, de Louise Michel qui se rangeât sans hésiter du côté des Kanaks contre les colonisateurs de son pays, d’Olga Bancik la combattante invisible de la bande à Manouchian décapitée par les nazis, des 230 militantes, résistantes, du convoi du 24 janvier 1943 qui entonnèrent la Marseillaise en franchissant le portail de Birkenau, …

Fille de Virginia Woolf, nous dénonçons avec elle la propagande nationaliste qui prend les femmes en otage et prétend les défendre alors qu’on bafoue leurs droits fondamentaux : « En tant que femme, je n’ai pas de pays, en tant que femme, je ne désire pas de pays, mon pays c’est le monde entier… ».

Nous, filles, petites filles du MLF et du FHAR…

Notre généalogie ne connaît pas de zones d’ombre : nous représentons cette tradition féministe internationaliste et anti fasciste qui s’est historiquement battue contre l’instrumentalisation colonialiste et nationaliste des droits des femmes et qui a toujours revendiqué l’égalité de toutEs et tous, quels que soient nos conditions, nos papiers d’identité, nos sexualités, nos religions, …

Nous déclarons que nous ferons tout pour débarrasser le pays du Président sortant et appelons toutes et tous à en faire autant pour barrer la route au fascisme qui se répand en France et en Europe.

Il est temps que nous nous rassemblions pour combattre ces politiques qui détruisent systématiquement notre communauté politique, nos droits et libertés, le lien social et la solidarité et qui osent le faire en notre nom. Il est temps qu’un autre féminisme prenne la parole : nous, féministes, refusons avec la plus vive détermination que les « droits des femmes » et des « homosexuelLEs » ou « l’égalité des sexes » servent des idéologies et des pratiques néo coloniales et liberticides.

Nous refusons de nous rendre complices de tels dispositifs qui créent les conditions de la toute puissance du capitalisme néolibéral, de la promotion d’une morale paternaliste de la « tolérance », de la réduction du politique au maintien de l’ordre policier et douanier, du fichage, de la surveillance et de la criminalisation des « étrangerEs », des populations paupérisées comme des syndicalistes et du mouvement social. Nous nous révoltons contre cette société qui laisse crever ses propres citoyenNEs de froid et de faim dans la rue tout en prétendant ne pas pouvoir accueillir « toute la misère du monde » ; nous condamnons la ruine des services publics, notamment en matière de santé, d’éducation, de recherche et de proximité qui sont la condition matérielle nécessaire de l’égalité réelle.

Obscur objet du désir, l’adhésion de 6 millions d’électeurs et d’électrices françaisES à une culture fascisante fait l’objet d’un racolage actif. Le score du FN est comme un blanc seing pour nous maintenir dans la minorité, pour nous abreuver de représentations populistes, débiles, de raisonnements simplistes qui ne prônent que la haine ; la société civile n’est plus qu’une société de consommation clivée et apeurée. Cette surenchère doit cesser… Pour notre part, nous ne laisserons plus ce front nationaliste récupérer le féminisme pour en faire l’étendard des frontières de l’« Occident ». Nous ne laisserons pas un parti, quel que soit le sexe de son chef, nous diviser impunément.

Nous luttons contre le grand renfermement dans une Europe forteresse qui transforme le combat historique pour nos droits et nos libertés sur nos corps et nos vies en une valeur de la « civilisation occidentale » et un critère d’intégration islamaphobe… Qu’en est-il justement de « Nous » ? Qu’en est-il de « nos » droits ? Qu’en est-il de ces millions de femmes vivant ici sous le seuil de pauvreté ? Qu’en est-il de l’égalité réelle des sexes et des sexualités ?... Quelle place occupe la lutte contre la culture et les violences hétérosexistes dans notre société ; une société qui maintient les discriminations salariales comme la licité des insultes ou l’impunité des violences ? Quels moyens sont alloués à une éducation sexuelle émancipatrice et à l’accès réel aux droits sexuels reproductifs et non reproductifs pour toutEs (Centre d’IVG, enseignement, valorisation et diffusion de la gynécologie médicale, contraception libre et gratuite, accès à la PMA sans discrimination, multiplication des crèches et développement des projets pédagogiques non sexistes et non racistes, réforme des manuels scolaires et développement de la place de l’histoire des femmes et de la notion de « genre » dans toutes les disciplines, éradication des publicités et des jouets prônant l’hétérosexualité obligatoire dès la naissance, reconnaissance des droits sociaux des prostituéEs …) ?...

Quelles leçons prétendons-nous vouloir donner au monde et de quelle histoire voulons-nous être les héritierEs ? Nous appelons aujourd’hui à voter pour le candidat du Parti Socialiste pour barrer la route au projet néoconservateur d’une Europe amnésique, pour faire rempart aux politiques avilissantes des droites extrêmes comme des dérives droitières des partis de gouvernement d’ici ou d’ailleurs. Cet appel ne donne nullement carte blanche à M. Hollande : nos votes sont une promesse qui charrie le tumulte des combats passés, une promesse, un engagement pour l’avenir.

Si nous gagnons cette fois, nous n’oublions pas que les fascistes sont de retour partout en Europe : que les politiques nationalistes et protectionnistes ne sont que l’autre face de la domination capitaliste néolibérale qui met en compétition les peuples et les laisse désolés et déchirés. En hommage à Virginia Woolf, dans son texte coup de poing Trois guinées (expulsé de ses œuvres « complètes » récemment publiées dans La Pléiade), nous affirmons que désormais, quiconque tente de nous instrumentaliser en prétendant défendre le droit des femmes sous couvert de progrès et de défense nationale – rencontrera sur son chemin une internationale féministe que nous appelons de nos vœux.



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