Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

Rue des Terreaux-du-Temple 6 - 1201 Genève

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nous perdons un ami

jeudi 10 décembre 2009 par Claude REYMOND

La Communauté genevoise d’action syndicale a le profond regret
de faire part du décès de

Daniel MARCO

Architecte convaincu de la nécessité pour les travail -
leurs de s’organiser collectivement, Daniel impulsa
notamment l’intégration du Syntec (syndicat pour
les employés techniques, dessinateurs, ingénieurs et
architectes) à la FOBB.

Toujours soucieux des conditions de vie de la grande
majorité, il conduisit ces dernières années les travaux
de la Commis sion aménagement, logement et
du territoire de notre Communauté – de façon à
ce que les grands projets du canton respectent nos
exigences démocratiques.

Les salariées et les salariés du canton de Genève
perdent un défenseur efficace ; nous perdons un
ami.

Nous le saluerons une dernière fois dans les
locaux du syndicat Unia, le lundi 14 décembre 2009
à 14h (chemin Surinam 5, Genève).


Publié dans Le Courrier du 12-12-2009

Daniel Marco est décédé subitement mercredi dernier à l’âge de 71 ans.

Quiconque s’est engagé dans les luttes syndicales ou politiques de ces cinquante dernières années à Genève l’a obligatoirement rencontré, a débattu ou s’est affronté à lui. Car il a été de tous les combats, depuis le mouvement étudiant des années 1960 jusqu’à celui des mal logés de la décennie actuelle. Aucune lutte politique où il ne fut présent et actif et où, au nom de la justice sociale, il ne bouscula ou provoqua ceux qui voulaient compromettre ou renoncer. Aucune lutte syndicale surtout, son engagement de toujours à la FOBB, puis au SIB et à UNIA, où il n’a exercé son énergie inépuisable à soutenir la cause des opprimés du capital. Son exigence de justice était absolue et ne souffrait aucun atermoiement, ceux qui ont eu à l’affronter au cours des innombrables réunions auxquelles il a participé peuvent en témoigner, qui ont subi ses critiques acérées et ses emportements. Je dois ici corriger une opinion largement partagée selon laquelle la violence de ses attaques verbales visait à réduire au silence ses adversaires du moment.

Dans le débat, Daniel provoquait la contradiction et la poussait à bout non pour détruire l’adversaire mais pour clarifier les enjeux théoriques, démasquer les positions idéologiques implicites et construire pas à pas une unité de vue indispensable à la réussite de l’action politique à venir. En ce sens, et cela en étonnera plus d’un, Daniel était un vrai rassembleur, cherchant toujours à renouer le contact avec ceux qu’il avait apostrophés la veille, s’efforçant inlassablement de construire des alliances avec tous ceux qui, même adversaires, se reconnaissaient dans la lutte anticapitaliste.

Aucune action, cependant, ne peut se développer sans théorie préalable. Sur ce point de méthode, Daniel était intransigeant et cela explique la priorité qu’il accordait au débat d’idée. Le militant se doublait donc d’un théoricien et il ne cessait de nous étonner par l’abondance et la diversité de ses lectures, alors que nous le croyions occupé soir et matin à l’action militante. Sa formation d’architecte l’avait amené à développer une affinité profonde avec les arts décoratifs et l’expression artistique en général, en tant que véhicule d’interprétation de la réalité et source d’idées pour comprendre la condition humaine. Ses attaches marxistes lui avaient donné le goût de l’histoire. Mais, dans ces deux mises en perspective de la réalité contemporaine, celle de l’espace et celle du temps, il ne cessait de remettre l’espace au premier plan. La territorialité comme source de liberté, il la cherchait également chez les philosophes, sautant allégrement d’Agamben à Sloterdijk pour alimenter sa réflexion politique. Daniel représentait le chercheur impénitent et polymorphe, aux intuitions dérangeantes, sans cesse en mouvement pour dénicher de nouvelles hypothèses propres à faire avancer la réflexion des nombreux cercles où il militait avec tant de générosité et de talent.

Avec sa mort, la Genève de gauche perd l’un de ses acteurs essentiels, un militant exemplaire, un collègue et ami dont le soutien et l’amitié n’ont jamais été pris en défaut. A la fois boussole par rapport à laquelle chacun pouvait se situer, bouclier derrière lequel on trouvait protection, tribun public, homme de terrain et d’action, mais aussi homme de cabinet et de réflexion, Daniel était aussi un homme discret, pudique, secret, qui cachait sa très grande sensibilité et ses trésors d’affects sous un voile d’apparente rudesse et brusquerie.

Salut l’artiste !

JEAN-NOËL DU PASQUIER, GENÈVE, LE 10 DÉCEMBRE 2009


Hommage à Daniel Marco

Jan Doret – 14 décembre 2009

« Qu’as-tu fait de tes talents ? » Merci, Michèle, Delphine et Ursulla, d’avoir illuminé le faire-part avec cette interrogation, qui résonne dans nos esprits comme la devise de Daniel. Devise traduite en actes, avec une capacité de travail proprement sidérante. Je n’énumèrerai pas tous ses combats et engagements : il en mené tant et dans tant de domaines ! Et simultanément sur plusieurs fronts. En comparaison, je me suis toujours senti d’une paresse abyssale (un de nos sujets récurrents de plaisanterie…).

A l’opposé de tout activisme forcené, la profondeur réfléchie de ses engagements fut sa marque. C’était pour lui une évidence existentielle quotidienne que de consacrer ses multiples talents aux multiples combats que réclament la justice sociale et l’épanouissement culturel. En cela, Daniel incarnait la philosophie marxiste dans son essence.

Car cette devise résonne aussi comme son écho personnel à la correspondance entre Marx et Engels, où les deux compères assignent un but magnifique au socialisme : l’éclosion au sein de la classe ouvrière de talents individuels, de génies de l’envergure de Beethoven ou de Goethe, alors que sa condition sociale l’exclut.

En mémoire de Daniel, j’insiste sur cette idée marxiste qu’est cette responsabilité individuelle à se développer pour le bien commun, tant il l’a personnifiée. Et au diable les trahisons infligées au marxisme par les régimes qui, en son nom, ont écrasé des individus en masse pour en écraser la pensée.

Enrichir la pensée, élargir sa réflexion comme celle des autres, chez Daniel, cela passait par le dialogue, l’échange, la contradiction, la confrontation, l’antithèse, le contre-pied et la provocation.

Exemple. Il y a huit ans, lors d’un débat du comité du SIB sur le racisme, Daniel gardait le silence alors que chacun y allait de sa profession de foi anti-raciste inébranlable. Le sourire en coin, l’œil ironique (vous avez tous connu sa mimique annonciatrice), Daniel a ébranlé son auditoire en commençant par cette petite phrase que vous avez tous encore à l’oreille : « ça m’amuse beaucoup ! » avant de balancer tout de go : « nous sommes tous racistes ! ». Provocation pour une réflexion au-delà du ronron des bonnes consciences.

Non, l’homme ne naît en rien « naturellement bon », comme l’affirmait Rousseau : il est tout naturel qu’il se méfie de « l’autre », alors qu’il lui faut s’éduquer pour l’accepter, se civiliser pour l’apprécier.

Enrichir la pensée dans l’action syndicale ? Autre exemple. Quand Daniel dispensait des cours aux travailleurs techniques du bâtiment au chômage, ce n’était pas seulement pour qu’il retrouvent une activité. C’était plus : pour quelle activité du point de vue social et culturel ?

Dans ses cours de formation au diagnostic de dégradation des bâtiments, il n’avait de cesse d’insister sur le dialogue avec les ouvriers, maçons, charpentiers, plâtriers, plombiers, dont les connaissances constituent un véritable « trésor caché », tant on les prend peu en considération dans les projets comme dans l’organisation des chantiers ; socialement donc, Daniel militait pour la pleine reconnaissance – y compris financière – de leur valeur. Et culturellement, il plaçait l’acte de rénover comme une contribution à l’embellissement de l’ordinaire de la ville pour des habitants qui ont peu de moyens, consacrant ainsi leur « droit à la ville », tel qu’Henri Lefebvre l’a théorisé.

Daniel fut l’incarnation éclatante de cette figure politique définie par Gramsci : celle de l’intellectuel organique à la classe ouvrière.

Sa contribution au mouvement syndical allait au-delà de son implication constante dans ses luttes. Elle a été, et restera, un apport de réflexions et d’écrits théoriques, dont le dernier fut d’amener les syndicats à s’impliquer dans un autre domaine que celui du rapport salarial : le rapport territorial, dont les enjeux sont vitaux et sur lesquels il travaillait encore tout récemment avec Jean-Noël Du Pasquier.

C’est le moment d’inviter les membres présents du Conseil d’Etat et du Conseil administratif de la Ville à sortir calepins et stylos pour prendre note de trois options parmi les dernières volontés urbanistiques de Daniel ; je dicte :
• Une traversée du petit-lac, notamment ferroviaire, comme chaînon manquant pour faire du CEVA un véritable périphérique ferroviaire urbain ;
• Une gare centrale à la Praille, comme meilleure option dans un dispositif complémentaire entre rail urbain, régional et international ;
• Un parlement transfrontalier, pour l’ancrage démocratique de tout projet d’agglomération actuel ou futur.

Vous pouvez ranger vos stylos, merci.

Je ne saurais conclure sans associer à l’action de Daniel, l’amour de sa vie : Michèle. Je les ai toujours connu amoureux. Amour fusionnel : Daniel subit son opération des cordes vocales, Michèle attrape immédiatement une extinction de voix. Certes, toute fusion engendre des collisions d’électrons. Mais quoi de plus naturel que des accrochages …quand on a tant d’atomes crochus ?

Daniel, tu m’as donné le dernier témoignage de ton immense amitié en me demandant de prendre la parole.
Sache à quel point – mais tu l’as évidemment prévu – sache à quel point, pour la première fois, ici et sur tout ce que je viens de dire, je me sens orphelin de tes objections.

Merci vieux frère !