Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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10 ans d’application de la Loi sur l’égalité

Loi sur l’égalité entre femmes et hommes

mercredi 3 mai 2006 par Claude REYMOND

A l’occasion de la journée internationale des femmes du 8 mars 2006, les syndicats genevois ont organisé une demi journée de bilan des 10 ans de pratique de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes dans les rapports de travail (LEg). Une soixantaine de personnes, dont nombre de syndicalistes, ont pu échanger sur les avancées et les obstacles rencontrés dans leurs actions en vue de faire cesser les discriminations à l’égard des femmes et esquisser des pistes pour la suite.

Les points positifs de la loi

Tout le monde s’accorde pour dire que la LEg est nécessaire. Son introduction a permis d’ancrer dans la loi un dispositif qui facilite le recours aux tribunaux, en particulier en raison de la gratuité de la procédure, de l’allègement du fardeau de la preuve puisqu’il suffit de rendre la discrimination vraisemblable pour que l’employeur doive prouver qu’il n’y a pas de discrimination (excepté pour l’engagement et le harcèlement sexuel), de la protection de l’employée contre le licenciement dès la première démarche auprès de l’employeur, pendant la procédure et les six mois après la fin de celle-ci, ainsi que de la qualité pour agir des organisations pour faire constater une discrimination, lorsque l’issue du procès aura des conséquences sur plusieurs rapports de travail.

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photo Valérie BUCHS

La loi a aussi un caractère préventif. Elle a permis que des entreprises éliminent d’elles même certaines formes de discrimination à l’égard des femmes et facilité l’introduction de nouvelles dispositions lors des négociations sur les statuts du personnel ou les CCT. Par ailleurs, cette loi a renforcé la conscience qu’ont les travailleuses des discriminations subies et permis de leur faciliter le respect de leurs droits par les entreprises. Dans certains cas, l’intervention des syndicats directement auprès des employeurs a permis d’éviter le recours aux Tribunaux. De même, certaines causes sont conciliées, car les employeurs ont peur d’une mauvaise publicité.

Au cours de ces dix ans, des procès exemplaires ont pu être gagnés, soit par des actions individuelles, soit par des actions collectives, grâce à la qualité pour agir des organisations, et permis de faire progresser la jurisprudence en la matière. La loi a aussi permis le développement d’études et de statistiques. La loi a instauré le Bureau fédéral de l’égalité et permis de financer des programmes concrets en vue d’instaurer l’égalité dans les faits, des structures d’informations et d’appuis spécifiques pour les femmes.

Des progrès insuffisants

Si l’introduction de la loi a eu des effets positifs, les progrès demeurent trop faibles : L’activité des femmes est marquée par le temps partiel et la position professionnelle des femmes est toujours subordonnée à celle des hommes. Les professions exercées par les femmes se concentrent dans un trop faible éventail de métiers. Sur le plan de la formation, les femmes sont de mieux en mieux formées, mais elles stagnent dès le niveau post grade. Ces différences structurelles entre hommes et femmes dans le monde professionnel se traduisent au niveau des rémunérations. Les femmes gagnent en moyenne 9,3% de moins que les hommes à Genève (au plan fédéral la moyenne est de 24% d’écart dans le privé et de 10% dans le secteur public).

Les différences salariales se creusent en défaveur des femmes au fur et à mesure que l’on monte dans les niveaux de qualification. Ces inégalités ont également des incidences sur la protection sociale et sur l’indépendance économique des femmes. Par ailleurs, les situations de harcèlement sexuel au travail persistent. Dans le domaine de la famille, les femmes continuent à assurer l’essentiel des tâches domestiques, de soins aux proches et d’éducation des enfants. Par conséquent, sur le marché du travail, les femmes se trouvent toujours confrontées à cette articulation entre famille et emploi et à ce rapport hiérarchique dominant exercé par les hommes.

Les points négatifs de la loi et des propositions

Le 16 février 2006, le Conseil fédéral a publié un intéresant rapport d’évaluation de la loi. Toutefois, il est décevant mais pas surprenant que le Conseil fédéral n’ait largement pas suivi ses recommandations. Il a opté pour des mesures timorées, reposant sur l’information, la sensibilisation et l’incitation aux entreprises, afin de préserver la flexibilité du marché du travail et ne pas augmenter le budget de la Confédération. Il a refusé des modifications pouvant entraîner une révision de la loi elle-même.

En 10 ans, le nombre de procédures est assez faible puisque 269 décisions seulement ont été rendues par les tribunaux suisses, ce qui représentent 176 cas d’espèces. Seuls 32 cas étaient collectifs. Par ordre d’importance les procédures concernaient l’inégalité de salaire, le harcèlement sexuel, les licenciements discriminatoires, les licenciements représailles. Nous devons conclure que la loi prévoit une protection insuffisante contre le licenciement car de nombreuses femmes hésitent à saisir le tribunal, en particulier dans ce contexte de fort chômage. La peur de perdre son emploi et d’être grillée sur la place est trop forte. Nous préconisons donc un allongement de la période de protection contre les licenciement et de rendre nuls (et non annulables) les licenciements, ainsi qu’un renforcement des sanctions en cas d’infraction à la loi. Le Conseil fédéral ne retient pas cette proposition.

Par ailleurs, le Parlement a fait le choix d’écarter explicitement la possibilité pour un organisme officiel de mener des enquêtes dans les entreprises pour vérifier l’application de la LEg. Les autorités publiques (commission ad hoc ou bureaux de l’égalité) doivent être dotées de compétences d’investigation et d’intervention dans les entreprises. En cas de discrimination, les autorités publiques doivent aussi pouvoir ouvrir une action devant les tribunaux pour représenter les victimes ou dénoncer les discriminations structurelles. Des structures de ce type existent déjà dans le système suisse (Préposé fédéral à la protection des données, OCIRT en matière de Loi sur le travail) et dans certains autres pays (Irlande, Royaume-Uni, Suède, Canada). Le Conseil fédéral s’est là déclaré disposé à étudier plus à fond cette proposition.

D’autre part, nous avons pu constater la difficulté d’appréciation de la valeur du travail qui requiert des expertises complexes. Le Conseil fédéral a chargé le Bureau fédéral de l’égalité d’élaborer des recommandations sur la manière d’établir des expertises salariales.

Dans les jugements, on doit faire le constat que les juges font souvent preuve de faiblesse en matière d’allègement du fardeau de la preuve, ne comprennent pas les discriminations indirectes, ignorent les mécanismes du harcèlement sexuel, par exemple. Un renforcement du dispositif de formation de l’ensemble des juges est nécessaire. Les campagnes d’informations et de formation des entreprises et du personnel, des collectivités publiques et du personnel syndical doivent se poursuivre également.

Vu le faible nombre de causes, la composition des tribunaux parfois non mixtes et surtout sans filière spécifique (seulement en conciliation à Genève), la tendance à manquer d’expérience est assez claire et contribue au ralentissement de la procédure (4-6 ans pour aller jusqu’au Tribunal fédéral). Le greffe des prud’hommes semble déterminé à mettre en œuvre, au cours de la nouvelle législature, la mixité de la composition du tribunal (1ère instance- Chambre d’appel). Un changement de la loi d’application genevoise serait souhaitable en matière de filière ad hoc.

Le faible nombre de réclamations déposées en matière de LEg s’explique également par le manque de transparence en matière de salaire et par la difficulté d’accès aux données. Les entreprises devraient êtres tenues de fournir des données concernant les personnes et les salaires déjà avant de se présenter devant le juge (à l’instar du Royaume-Uni, France. Suède, Australie. Il s’agirait de créer des règles qui obligent les employeurs de fournir des données. Sur simple demande, ils seraient tenus de remplir un questionnaire sur les rémunérations. Le Conseil fédéral préconise une uniformisation du droit de la procédure civile afin de permettre aux commissions de conciliation de requérir des preuves et de demander à un employeur de présenter la comptabilité des salaires, de visiter les entreprises et d’exercer le rôle de conseil en plus de la médiation.

Il s’agirait également d’étendre l’allègement du fardeau de la preuve au harcèlement sexuel et à la discrimination à l’embauche. Les preuves sont aujourd’hui trop difficiles à réunir par les salarié-e-s. Enfin, il conviendrait d’étendre le droit d’agir des organisations aux cas individuels et de leur permettre d’introduire une action en paiement.

Une loi c’est bien. L’action collective c’est mieux !

Ces propositions d’amendement de la LEg et des lois d’application doivent toutefois être examinées à la lumière du rapport de force existant et de la composition politique actuelle des Chambres fédérales et des parlements cantonaux, majoritairement hostiles à prendre des mesures volontaires en faveur de l’égalité entre femmes et hommes. Actuellement, on observe même un certain recul en matière d’égalité avec le développement de la pensée néolibérale et ses modèles d’organisation du travail et de moins d’Etat. Les restrictions budgétaires menacent les associations de femmes par des coupes dans leurs subventions, les bureaux de l’égalité, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement supprimés, se voient confinés au traitement des questions familiales.

Le dispositif permettant aux femmes d’exercer une activité professionnelle est mis en péril par cette politique d’assèchement des deniers publics. Je pense en particulier aux développement des soins à domicile, aux EMS, aux crèches, aux foyers pour personnes handicapées, à cet ensemble de tâches qui étaient assignées traditionnellement aux femmes et qui devraient être prise en charge par les collectivités publiques, tout en constituant un gisement d’emplois dans cette période sinistrée par le chômage.

L’attaque aux statuts du personnel des services publics, l’instauration du salaire au mérite et l’expansion des statuts précaires constituent une menace directe pour les femmes. La loi en elle-même ne suffira pas pour faire reculer les discriminations à l’égard des femmes. La mobilisation syndicale et des actions collectives demeurent le meilleur outil pour réaliser l’égalité.

Valérie Buchs

Secrétaire syndicale SIT, le 7 avril 2006