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Genève - Erwin Sperisen s’est exprimé au premier jour de son procès pour assassinats

vendredi 16 mai 2014

Le Temps, 16-05-2014, Fati MANSOUR

Toute ma vie, j’ai été du côté de la justice

Les juges balaient toutes les demandes de la défense

Il s’exprime en espagnol et agite tout le temps les mains pour illustrer son propos. Erwin Sperisen, accusé d’avoir dirigé des exécutions sommaires de détenus alors qu’il était le chef de la police nationale du Guatemala, l’affirme au premier jour de son long procès genevois : « Toute ma vie j’ai été du côté de la justice. » Pour le reste, il se montre beaucoup plus vague. « Arrêtez de tourner autour du pot », dira même, de guerre lasse, la présidente du Tribunal criminel, Isabelle Cuendet.

Né il y a bientôt 44 ans à Guatemala City, originaire de Soleure, ce binational à la carrure massive, rattrapé par son passé à des milliers de kilomètres des forêts tropicales, explique avoir fait une formation en sciences politiques, tâté beaucoup d’année avant de s’intéresser au domaine de la sécurité et de la protection des personnalités. Devenu conseiller municipal de la capitale, il est nommé à la tête des 23 000 policiers du pays en 2004. « Je voulais lutter contre le trafic de drogue, combattre la corruption et réorganiser les services »), y assure le prévenu. Et le premier procureur, Yves Bertossa, de s’étonner. « Alors pouvez-vous nous expliquer pourquoi les saisies de cocaïne ont drastiquement chuté durant cette période ? » La réponse de l’intéressé, faisant état d’une sorte de stratégie opaque, sera plutôt confuse.

Erwin Sperisen précise aussi qu’il n’a pas quitté précipitamment ce petit pays d’Amérique centrale en raison des sanglantes affaires qui ont défrayé la chronique et donné lieu à des enquêtes chapeautées par les Nations unies. « J’avais reçu des menaces de mort, de la part de narcotrafiquants », dit-il pour expliquer son départ.

Etabli Genève avec son épouse et ses trois enfants depuis.2007, il réside d’abord chez son père, qui est diplomate à l’OMC. il ne trouve pas de travail et reçoit l’aide sociale. Le mandat d’arrêt international, lancé contre lui en 2010 par le Guatemala, ne va pas arranger les choses. « A partir de ce moment-là, j’ai arrêté de chercher un emploi et je n’ai plus quitté la Suisse. » Depuis le 31 août 2012, a est incarcéré à Champ-Dollon.

La présidente a longuement tenté de clarifier qui faisait quoi au sein des forces de l’ordre guatémaltèques et qui commandait qui. Laborieux. Ensuite, les juges ont examiné les contours du Plan Gavilan », conçu pour rechercher et capturer des évadés. Dans ce premier volet de l’acte d’accusation, Erwin Sperisen se voit reprocher l’ordre d’exécution de trois des fugitifs du centre El Infiernito - dix-neuf avaient réussi à se faire la belle au mois d’octobre 2005 - qui ont été repris peu après. Pour l’exemple.

Trois d’entre eux ont effectivement été abattus dans des circonstances que le Ministère public qualifie de criminelles. Le premier a reçu une balle dans la tête. Selon le procureur, cette énumération pure et simple a ensuite été mise en scène pour faire croire à un affrontement. L’homme, qui avait déjà été maîtrisé par les policiers, a été placé sur le siège avant d’un véhicule avant d’être exécuté. Une amie a été posée entre ses jambes et le véhicule criblé de balles. « J’étais informe lorsqu’un fugitif était repris. C’était les instructions », relève Erwin Sperisen pour expliquer le fait qu’il était en contact téléphonique permanent avec les hommes qui menaient ces opérations.
Deux autres fugitifs, tombés entre les mains de ces commandos mixtes, ont connu un funeste destin. Le premier a reçu douze balles, dont trois dans la tête. Le second, quatre balles. Quand est-ce qu’un policier avait le droit de faire usage de son arme ? A cette question du procureur, Erwin Sperisen n’apporte pas de réponse simple. Il a fallu beaucoup insister. « En principe, le but d’un policier qui veut capturer quelqu’un est de le soumettre et non pas de le tuer », concédera finalement le prévenu.

Quant à son rôle de chef, Erwin Sperisen le résume ainsi : « Ma fonction était de veiller à ce que chacun fasse son travail. Ce qui a été le cas. » Et pourquoi certains éléments extérieurs à la police nationale civile, les dénommés Soto et Rivera, accompagnaient-ils ces équipes ? « On ne m’a pas demandé mon avis. Ils s’étaient coordonnés avec le Ministère de l’intérieur. » Soupir des juges, qui attendront mardi pour poursuivre cet interrogatoire et tenter d’y voir plus clair.

Bien plus limpide a été la réponse donnée par le tribunal aux incidents plaides d’entrée par la défense. Mes Giorgio Campa et Florian Baier demandaient l’audition du journaliste de L’Illustré qui vient de consacrer un article à la lointaine plaignante de, cette affaire, la mise à l’écart de la procédure de cette septuagénaire au grand coeur qui a perdu son fils mais pardonne aux bourreaux, la venue à la barre de l’ancien président Oscar Berger ainsi que du " chef du service pénitentiaire, mais ’ » aussi la production de certains courriels du procureur. Tout cela a été jugé non pertinent et balayé.

Le Temps, 16-05-2014, Fati MANSOUR



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