pour que cesse l’impunité

en matière d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, tortures

ou autres dénis des droits fondamentaux

p.a. CGAS - Rue des Terreaux-du-Temple 6 - 1201 Genève - phone +41 22 731 84 30 fax +41 22 731 87 06

Le procès d’Erwin Sperisen met la justice genevoise au défi

jeudi 15 mai 2014

ANALYSE • Le Ministère public joue sa crédibilité sur un procès inédit par sa durée, sa dimension internationale et par la nature des crimes qui sont reprochés.

publié dans Le Courrier du 15-05-2014

PAULINE CANCELA

La justice genevoise joue sa crédibilité aujourd’hui, alors que s’ouvre le très attendu procès d’Erwin Sperisen. Le Tribunal criminel s’apprête à vivre trois semaines d’intense marathon judiciaire pour juger rien de moins que l’ancien chef de la police guatémaltèque, accusé par le Ministère public genevois d’avoir commandité dix exécutions extrajudiciaires dans son pays (notre édition de lundi). Inédit, risqué, ce procès-fleuve d’envergure internationale clôt seize mois d’instruction et sept ans d’un travail de dénonciation mené par une coalition d’ONG suisses, dont TRIAL, qui combat l’impunité des criminels de guerre et défend les victimes.

Pour ces ONG, comme pour le parquet du bout du lac, l’enjeu est de taille. Genève n’a pas vécu pareil défi depuis le procès du Russe Sergueï Mikhaïlov en 1998, qui s’était, lui, soldé par un acquittement faute de preuves. Autre époque, autre pays. Cette fois, le procureur chargé du dossier, Yves Bertossa, a pu compter sur la collaboration du Guatemala pour mener son enquête, non sans mal. Le cas a également nécessité la contribution des justices française, espagnole et autrichienne.

Retombées internationales

Les procès de la rue des Chaudronniers, en vieille-ville, font rarement l’objet d’une telle attention médiatique et internationale. Et pour cause : « Cela fait plus de quinze ans qu’il n’y a pas eu de procès de cette envergure en Suisse. D’autres pourraient suivre, car plusieurs procédures sont en cours, notamment contre le général algérien Khaled Nezzar, actuellement poursuivi pour crimes de guerre par le Ministère public de la Confédération, ou l’entreprise Argor, pour complicité de crimes de guerre », commente l’avocat Philip Grant, directeur de TRIAL.

Par ailleurs, le verdict pourrait avoir d’importantes retombées internationales, notamment concernant la suite de la procédure espagnole contre le supérieur direct de Sperisen, Carlos Vielmann, ancien ministre de l’Intérieur. L’acquittement parait peu probable, vu la pression qui pèse sur les juges du tribunal criminel, relève un avocat de la place. Il signerait d’ailleurs l’échec de la justice internationale. « Il est primordial de montrer aux victimes de pays étrangers qu’elles peuvent compter sur la justice d’Etats tiers pour traquer leurs bourreaux », poursuit le directeur de TRIAL.

« Il a fallu batailler avec le parquet »

Il a fallu du temps, malgré tout, pour que le Ministère public se décide à poursuivre ce Guatémaltèque qui possède la nationalité suisse et n’est pas extradable. Car la première plainte pénale déposée contre Sperisen par les ONG date de 2009, époque à laquelle Daniel Zappelli dirigeait le parquet – sans compter qu’une plainte antérieure avait été déposée à Soleure par d’autres associations en 2007, lorsque le binational s’était réfugié sur sol helvétique. « Il a fallu batailler avec l’ancien procureur général. Même quand nous avons formellement retrouvé la trace de Sperisen à Genève, il n’était pas intéressé », se souvient le juriste.

Grâce au lobbying des mouvements sociaux sur place, le Guatemala finit par émettre un mandat d’arrêt international en août 2010. Un juge d’instruction est mobilisé à Genève, mais sans grande conviction. C’est l’arrivée d’Olivier Jornot à la tête du parquet qui marque vraiment le dé- but de l’enquête dès 2011.

On lui doit donc en partie la tenue de ce procès exceptionnel tant par sa durée, que par ses ramifications internationales et la nature sanguinaire des crimes qui sont pointés.

Témoins délicats

A la veille du grand raout, Olivier Jornot se contente de remarquer, via un porte-parole, que « si le procès peut être considéré comme particulier, il répond avant tout à ce qui incombe au Ministère public ». « De la part du parquet genevois, c’est assez courageux, surtout qu’il s’est agi de travailler avec un pays à la justice défaillante et des témoins parfois manipulés par le régime », reconnaît toutefois un observateur aguerri de la vie judiciaire genevoise.

Ils seront quatorze à être entendus au cours des prochaines semaines et leur capacité à parler librement repré- sente un des enjeux majeurs des audiences. « Au Guatemala, ces personnes sont réellement menacées. Des témoins potentiels auraient été assassinés », souligne Philip Grant. Une affaire difficile, en somme, où les preuves n’ont pas été faciles à récolter. « La justice genevoise peut se regarder dans la glace », conclut une source proche du dossier.I



Sur le Web