pour que cesse l’impunité

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Poursuivi pour exécutions extrajudiciaires

Erwin Sperisen sera-t-il un jour jugé à Genève ?

lundi 18 avril 2011 par Claude REYMOND

LeTemps.ch | 18.04.11 12:48

Poursuivi pour exécutions extrajudiciaires,
Erwin Sperisen sera-t-il un jour jugé à
Genève ?

Par Angéiique Mounir-Kuhn

Le dossier du Suisso-Guatémaltèque, Erwin Sperisen, ancien chef de la police nationale civile (PNC) du Guatemala, installé à Genève et suspecté d’exécutions extrajudiciaires, est-il en passe de connaître un développement significatif ? C’est ce que laisse entendre le juge Michel-Alexandre Graber. Contacté par Le Temps, ce dernier a indiqué qu’il serait en mesure de faire une annonce d’ici à la fin de cette semaine. Elle pourrait avoir trait à l’envoi au Guatemala d’une commission rogatoire, dont la mise sur pied avait été annoncée en novembre dernier, sans nouvelles depuis, un délai dont s’est ému un collectif d’ONG suisses emmené par l’organisation TRIAL.

L’existence d’Erwin Sperisen a été révélée au grand public à l’été 2010. Ce que le commun des mortels ignorait alors, c’est que la justice genevoise était saisie du dossier depuis deux ans et demi déjà, période pendant laquelle il a pu vivre sans tracas à Genève, alors même qu’une plainte avait été déposée à son encontre en Suisse dès juillet 2007.

Le 3 septembre 2010, donc, le procureur général de Genève, Daniel Zappelli, annonce l’ouverture d’une enquête concernant Erwin Sperisen, et la confie à Michel-Alexandre Graber. Depuis le mois d’août, le bi-national est en effet l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités judiciaires guatémaltèques, qui le suspectent, du temps où il dirigeait la PNC, entre juillet 2004 et mars 2007, d’exécutions extrajudiciaires et d’association illégale, d’après le mandat d’arrêt consulté par Le Temps.

Cette période est marquée par une recrudescence alarmante des homicides au Guatemala, passés de 3230 en 2001 à 5884 en 2006 sans élucidation pour la plupart. Dépêché dans ce pays d’Amérique centrale en août 2006, le rapporteur spécial des Nations unies Philip Alston établit que nombre de ces homicides relèvent du « nettoyage social » opéré par les forces de sécurité, c’est-à-dire de l’assassinat de recrues de gangs, de suspects de crimes et autres « indésirables » de la société. En clair, sous la houlette du Ministère de l’intérieur, des escadrons de la mort ont semé la terreur au Guatemala ces années-là. « Il y avait une certaine routine à tuer des gens sous prétexte que la justice faisait « trop lentement » son travail », explique Sebastian Elgueta, chercheur chez Amnesty International, à Londres.

Etablie avec l’appui des Nations Unies en 2006, la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) enquête et monte un dossier d’accusation, qui vise au total dix-huit personnes dont neuf ont déjà été arrêtées au Guatemala où des procès pourraient débuter en mai. Neuf autres courent toujours, et notamment trois des quatre plus « gros bonnets » de l’escouade incriminée par la CICIG : l’ancien chef de police Erwin Sperisen, né en 1970 ; l’ex-ministre de l’Intérieur, Carlos Vielmann, réfugié en Espagne, où la justice s’active et pourrait statuer sur une extradition d’ici à la fin avril ; et Javier Figueroa, ancien sous-directeur du Service d’enquête de la police criminelle, installé en Autriche, où il a obtenu le statut de réfugié politique et n’est pour l’heure pas inquiété.

Deux épisodes emblématiques et méticuleusement documentés par la CICIG étayent l’accusation : l’exécution de trois des dix-neuf évadés de la prison d’El Infiernito en octobre 2005, et, celle de sept prisonniers de la maison d’arrêt d’El Pávon, où, en septembre 2006, une opération de remise en ordre baptisée « Pavo real » a viré à l’expédition punitive. Plusieurs des photos prises lors de cette intervention hyper-médiatisée font apparaître Erwin Sperisen et Carlos Vielmann, tandis que d’autres clichés attestent d’un grossier effort maquillage de probables exécutions en actes de légitime défense policière. Si ces deux chapitres sinistres lui valent ce mandat d’arrêt international, le Suisso-Guatémaltèque était déjà visé par une plainte en Suisse, également pour exécutions extrajudiciaires, dès juillet 2007. Cette dernière est liée au massacre de la « Finca nueva Linda », lequel n’a jamais donné lieu à une action en justice au Guatemala. Le 31 août 2004, quelques jours après la prise de fonction d’Erwin Sperisen à la tête de la PNC, plusieurs centaines de familles qui occupaient pacifiquement la Finca sont délogées par la police. Neuf paysans et trois policiers sont assassinés durant les affrontements.

Informée des événements, Chantal Woodtli de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS), et les représentants de deux autres ONG, l’ACAT et Uniterre, portent plainte « en tant que citoyens suisses » auprès du procureur de Soleure. « C’est le lieu d’origine de la famille Sperisen », explique-telle. Jusqu’à aujourd’hui, cette plainte n’a jamais été rendue publique, pour ne pas prendre le risque de voir Sperisen mettre les voiles. En outre, « Nous ne voulions pas aggraver une situation déjà très dangereuse pour nos délégués sur le terrain », ajoute la militante.

A l’époque, les ONG subodorent la présence en Suisse de l’ancien chef du PNC, démissionnaire de son poste en mars 2007 à la suite d’une énième affaire trouble impliquant ses services, l’assassinat de trois députés salvadoriens en visite au Guatemala. C’est le scandale de trop. Le ministre de l’Intérieur Vielmann est évincé et la police massivement purgée. « Sperisen avait annoncé dans les journaux du Guatemala qu’il allait retrouver à Genève son père », précise Chantal Woodtli. Ce dernier est toujours le représentant du Guatemala auprès de l’Organisation mondiale du commerce.

Après une enquête rapide de la justice soleuroise, le dossier atterrit fin 2007 à Genève, où, pense-t-elle, Erwin Sperisen s’est installé. « Il fallait que nous prouvions si oui ou non l’intéressé était à Genève, sinon nous n’aurions pas été compétents et la compétence retombait sur les autorités de Soleure », explique le procureur général Daniel Zappelli, qui indique s’exprimer en tant que président de la juridiction et non pas en qualité de magistrat en charge du dossier. Il dit ne s’être saisi qu’en juillet 2009 de l’affaire, auparavant confiée à un autre magistrat genevois, avant de la renvoyer à l’instruction en novembre 2009. « La police a été envoyée à une ou deux reprises en 2008, précise le procureur. Sa présence n’était pas aussi certaine que cela. »

Les ONG qui suivent de près le cas Sperisen (TRIAL, l’OMCT, la CGAS, l’ACAT et Uniterre), sans avoir accès au dossier judiciaire puisqu’elles ne sont pas parties civiles, ont la conviction inverse. Pour en avoir le coeur net, et tenter de faire avancer ce dossier dormant, le collectif recrute en avril 2008 un détective privé qui démontre rapidement l’installation à Genève du chef policier, dont les photos sont transmises au parquet, sans plus de réaction de sa part. « Je regrette que dans un dossier de cette gravité, la justice n’ait pas été capable de réagir plus promptement », souligne Philip Grant, le directeur de TRIAL. « Cette affaire a été traitée avec la diligence qu’elle méritait », rétorque aujourd’hui Daniel Zappelli. En dépit du soupçon pourtant, jamais jusqu’à septembre 2010, Erwin Sperisen n’aura eu à entendre parler de la justice genevoise.

En tant que Suisse, il n’est pas extradable. La Suisse est « obligée » de le juger, affirme Sebastian Elgueta. Tout en insistant sur la présomption d’innocence, le chercheur d’Amnesty International souligne : « Il s’agit de violations des droits de l’homme de la plus grande magnitude, dont les auteurs doivent porter la responsabilité. Selon le droit international, il faut extrader ou poursuivre ». Florian Baier, l’avocat genevois du bi-national, a fait savoir au Temps que « ni lui, ni son client », qui s’était dit visé par une « campagne de diffamation » lors d’une conférence de presse l’été passé, « n’avait de déclaration à faire ». Le Parti évangélique suisse, dont est membre Erwin Sperisen, autrefois animateur de « séances de réarmement moral » pour ses troupes à la télévision guatémaltèque, a pris ses distances. « Il n’est plus un membre « actif » jusqu’à ce que l’enquête soit terminée », déclare le siège du parti.



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