9 novembre 1932 - plus jamais ça

à la mémoire du 9 novembre 1932, pour la démocratie et la liberté

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Le 9 novembre 1932 et la Grève générale commémorés à Genève

et ce qu’en rapporte Gauchebdo dans son numéro 44 du 16-11-2018

jeudi 15 novembre 2018 par Claude REYMOND

Rosa Bloch, militante à facettes multiples

HISTOIRE • Militante féministe et socialiste, puis communiste, Rosa Bollag-Bloch a été une des membres fondatrices du Comité d’Olten, organisateur de la Grève générale de 1918. Elle est à la base de la revendication du droit de vote des femmes. Retour sur son parcours.

Née en 1880 à Zurich, Rosa Bollag est issue d’une famille de commerçants de céréales appauvrie. Elle en devint indépendante très jeune, s’étant fait embaucher comme représentante d’une bijouterie zurichoise. D’une grande intelligence, méthodique et persévérante, ayant le sens des affaires et l’éloquence puissante, elle était appréciée par ses employeurs. Son emploi lui assurait assez d’autonomie financière pour qu’elle pût mettre ses capacités au service de la lutte contre l’injustice et les discriminations, dont les femmes de couche populaire avaient particulièrement à souffrir. Séduite dans un premier temps par l’anarchisme, elle finit par se tourner vers les socialistes et adhéra en 1912 à leur parti. Notons en passant que les femmes étaient admises au Parti socialiste suisse dès sa fondation, alors que ce n’était pas encore le cas des partis bourgeois.
Rosa s’engagea dans la lutte des classes avec des actions concrètes, qui lui firent gagner l’estime de ses camarades masculins. Tout en prenant soin de ne pas trop les brusquer, elle saisit chaque occasion pour leur faire comprendre qu’il n’était pas cohérent de vouloir libérer les travailleurs du joug de capitalisme sans se soucier d’instaurer l’égalité totale entre les membres du groupe. Elle déclara que, les femmes étant encore privées de droits civiques, il est urgent que militantes et militants socialistes s’engagent ensemble en faveur du droit de vote des femmes. Ses interventions lui valurent l’amitié profonde de plusieurs militantes combatives du parti : Rosa Grimm, Angelika Balabanoff, Agnès Robmann, Marie Walter-Hüni. Ces femmes menaient campagne pour rendre leurs camarades hommes conscients de ces enjeux, et encourageaient en même temps les militantes à suivre leur exemple et briguer des postes décisionnels au sein du parti.

Droit de vote des femmes

Le travail de propagande mené par Rosa Bollag-Bloch et ses amies aboutit à ce que le droit de vote et l’éligibilité des femmes figure sur la liste des revendications établie par le Comité d’Action d’Olten qui prépare la grève générale de 1918. Rosa Bollag-Bloch en fut membre fondateur et elle y siégea comme unique femme parmi une demi-douzaine d’hommes. Mais au bout d’un mois elle fut remplacée par Fritz Platten, député au Grand Conseil de Zurich et conseiller national PS.
Comment expliquer la répudiation de la militante qui avait à son actif la direction de la révolte des femmes zurichoises contre la vie chère en juin 1918 ? Rosa Bollag-Bloch était-elle, aux yeux de ses camarades, une jusqu’au-boutiste, une extrémiste trop hostile au compromis ? S’il est vrai que la revendication de l’octroi du droit de vote des femmes ne fut pas satisfaite, le PSS commença cependant à étudier la question et à prendre au sérieux la revendication Pain, argent et suffrage féminin ; il créa la Commission féminine du parti, présidée par Rosa Bollag-Bloch. Cette dernière ne fut pas seulement une oratrice hors pair, mais aussi une propagandiste à la plume très alerte au magazine Die Vorkämpferin (La Pionnière). Cet « organe des femmes travaillant dans les usines, les ateliers et les ménages » était un mensuel fondé en 1906 par Margareth Faas-Hardegger. La publication ne se limitait pas à traiter de la situation des femmes sur les lieux de travail, mais elle dénonçait aussi l’oppression patriarcale subie au foyer et abordait des questions de sexualité et de contraception. Impressionnée par les talents de Rosa, Margareth Faas s’assura de sa collaboration régulière et lui confia plus tard la rédaction. Jusqu’à la disparition du titre en 1920, Rosa y publia des articles remarquables pour le contenu et pour la forme. L’existence de ce mensuel joua un rôle d’autant plus important que les femmes ne disposaient alors pas d’organisation syndicale globale.

Rosa devient communiste

Militante à facettes multiples, Rosa aida son mari Siegfried Bloch à enrichir son fond de documentation sur les luttes sociales (aujourd’hui Archives sociales suisses), qu’il dirigeait depuis 1909. Quand, en 1920, intervint la scission du parti socialiste, Rosa n’hésita pas un seul moment à choisir son camp et adhéra au groupe qui fonda en 1921 le Parti communiste suisse. Elle fut élue au comité central du PCS, tandis que son mari suivait l’aile sociale-démocrate.
En 1922, à 42 ans, Rosa BollagBloch subit une opération de goitre, qui se solda par le décès de la patiente. Son mari reprocha aux soignants de ne pas avoir fait tout le possible pour la sortir vivante du bloc opératoire et alla jusqu’à insinuer que l’échec de l’intervention était programmé pour se débarrasser d’une militante gênante. Quoi qu’il en soit, son soupçon traduisait la violence de la lutte des classes en Suisse à cette époque-là. ■

Anna Spillmann


Le 9 novembre 1932 et la Grève générale commémorés à Genève

Comme chaque année, les militants se sont rassemblés le jour J pour commémorer les événements du 9 novembre 1932, quand l’armée avait ouvert le feu sur des manifestants mobilisés contre un rassemblement fasciste à la salle communale de Plainpalais, tuant 13 personnes et en blessant 65. Des représentants d’AntiFa, du PdT, du GSsA, de solidaritéS et du Parti socialiste ont pris la parole. Plus tôt, des militants du GSsA avaient organisé une action de protestation à la Rue des Granges, pour s’opposer à la réunion d’information organisée par la Société militaire du canton de Genève et destinée aux députés au Grand Conseil. « Cette provocation, qui montre un mépris flagrant des victimes de l’armée ou la volonté de détourner l’attention de cet événement, ne pouvait rester sans réponse », a revendiqué le groupement antimilitariste.

Dans la soirée, à l’appel de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) et du Collège du travail, plus d’une centaine de militants se sont retrouvés à la Salle du Faubourg pour évoquer la Grève générale de 1918 et les différentes luttes genevoises de ces dernières années. Maître-assistant en histoire contemporaine à l’Université de Zurich, Pierre Eichenberger est intervenu pour expliquer le contexte de l’événement. « La Grève est liée à la forte polarisation sociale entre les classes sociales pendant la première Guerre mondiale. Si la population s’appauvrit du fait de la hausse du coût de la vie, les patrons, et dans une moindre mesure, les paysans s’enrichissent. D’un autre côté, le PSS et l’USS accroissent le nombre de leurs membres, mais leurs revendications ne sont pas entendues du fait que l’élection à la proportionnelle au Conseil national n’existe pas encore », a-t-il souligné. La Grève doit être lue aussi dans son arrière-fond transnational. « L’historien suisse Hans-Ulrich Jost a toujours souligné la nécessité d’une histoire européenne de la Suisse, y indispensable pour comprendre les événements dans notre pays. Au moment de la Grève générale, la révolution commence en Allemagne, l’Autriche-Hongrie se disloque », a rappelé le conférencier, rappelant les connections existantes entre tous les protagonistes à l’échelle européenne. « Gustave Naville, industriel genevois basé à Zurich, président de l’Association patronale suisse de l’industrie des machines, cofondateur et président de l’Union centrale des associations patronales suisses, a des contacts avec le patronat suédois, qui a maté la Grève générale de 1904 en Suède. Le leader du Comité d’Olten, le socialiste Robert Grimm a assisté aux grèves de 1905-1906 en Allemagne », explicite encore Pierre Eichenberger.

Paix du travail et témoignages de grévistes

La conférence s’est achevée sur l’évocation de la Paix du Travail. Signée en 1937 entre les syndicats de la métallurgie et les patrons, elle est ardemment désirée par ces derniers, qui ont peur d’une ingérence de l’État fédéral. La suite de la soirée a permis d’entendre les témoignages de participants à plusieurs grèves qui ont marqué le canton : chauffeurs Uber, grève des femmes de 1991, Tribune de Genève, fonction publique, TPG ou Merck-Serono. Malgré la diversité des luttes et les différences entre secteur privé ou public, les témoins ont tous relevé l’importance du courage nécessaire pour lancer un tel mouvement et la fraternité et la solidarité qui en découlent. « La grève sert, bien entendu à affaiblir l’adversaire, mais elle permet aussi à chacun d’écrire sa propre histoire », a souligné Hassan, chauffeur chez un sous-traitant d’Uber.

A l’échelon national, quelque 1’400 personnes se sont rassemblées le 10 novembre à Olten pour une grande manifestation festive dans les ateliers historiques des CFF, qui avaient aussi été le théâtre de la grève à l’époque. Dans leurs allocutions, le président de l’USS Paul Rechsteiner, le président du PS Christian Levrat, la présidente d’Unia Vania Alleva et la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga ont souligné que le courage et la détermination des grévistes ont permis rapidement d’obtenir des premiers résultats positifs, et ce malgré l’interruption de la grève au bout de trois jours. ■

JDr